mercredi 29 décembre 2010

2011: on a toujours raison d'espérer

 Vue sur l'ancienne base de sous-marins
ou : on a toujours raison d'espérer

Dans l'anse de Zenflamme, la foule des foulques se laisse porter par le courant, pointillés noirs sur le gris-bleu de l'eau-miroir.

Dans ce fond de rade, les oiseaux à tache blanche ignorent le monstre à bouche d'ombre d'où surgissaient furtifs les sous-marins noirs et leurs armes létales.

Aujourd'hui, le monstre n'est pas détruit mais converti, l'ogre est devenu gentil. Dans ses entrailles sont à l'abri les voiliers géants, coureurs d'océans, vastes comme des albatros, fragiles comme des rêves de poètes.



An Arvor, le 30 / 12 / 2010.

lundi 29 novembre 2010

Recension de mon recueil "La Perle d'espoir" dans An Amzer poésie

Voici l'article écrit par Patrick Thuiller dans la revue An Amzer poésie n° 46 de juin 2010:
" Le poète nous révèle une vérité de parole sur la page modale du monde. Il est à l'écoute de la moindre vibration de vie qui trace son chemin temporel ouvert sur le mystère d'une conscience universelle.
La lumière est belle qui nous conduit inéluctablement vers nous-même, vers cet absolu déjà écrit. "...suivre la trace / le chemin / entre le début et la fin...". Mireille Le Liboux porte loin son regard stimulé par les paysages humains et touche La perle d'espoir du poème à polir pour "... approfondir le rêve..." avec ses mots nourris par l'alchimie du chant élémentaire terrestre. Extrait: "...se nourrir de ces fleurs / du soleil diffracté / Lave dans les veines / suivre la trace / oiseau de nuage".


Je suis très touchée par cette lecture et en remercie vivement l'auteur. C'était mon premier recueil publié par Michel Cosem, Encres vives.

vendredi 26 novembre 2010

Les Phares

J'ai passé deux heures, cet après-midi, à mélanger des peintures blanche et noire. Et j'ai trouvé je crois ce gris couleur de perle…Il me semble qu'il accueille bien la lumière au bord des pierres et la rehausse légèrement.
Les mots trop brillants abîment tout le travail.



Jean-¨Pierre Abraham. Armen.


Demain nous commencerons à débarrasser de leur rouille la rambarde du bas et les treuils de ravitaillement. Nous repeindrons aussi la porte d'entrée, elle en a besoin.



Mes émotions devraient pouvoir se passer de mots.
Louis Cozan. Un feu sur la mer.



Au large des péninsules

là où se heurtent les grands courants

ils ont dressé des tours de pierres

contre le vent.



Ils ont arrimé sur le rocher

chaque moellon de granite

élevé la tour fragile

de leur souffle et de leur sang

fait tourner la lumière

ouvert des yeux sur la mer.



Puis ils ont inventé des hommes

nés de la pierre et du vent

des hommes aux mots de silence

pour avoir partagé

l'indicible intimité

des nuits entre la roche et l'océan.



Plus tard ils ont fait l'économie

des hommes de sel et de vent

ils ont automatisé les phares

tours inhabitées

accrochées à leur rocher.



C'est fini

plus personne pour lustrer

les cuivres vernis

pour chercher des jours entiers

ce gris de perle

ce gris de lumière

de la jeune fille de Vermeer

et puis repeindre la pierre

le bord de la fenêtre

en pensant à l'hiver.



Abandonnés à la rouille

et à la moisissure

les phares se meurent

dans la lumière éteinte

de leurs cuivres ternis.



Là-haut dans la chambre de veille

plus de regard pour les marins

pour les pêcheurs de l'île de Sein.

Ils ont débarqué les derniers gardiens

ils ont fermé les yeux de la mer.



© Mireille le Liboux

samedi 20 novembre 2010

Projections de poétique dans le politique

Poétique, politique, géopoétique et poétque du monde.
La créolisation est l'avenir du monde. Lire l'entretien d'Edouard Glissant et écouter la vidéo:
http://www.telerama.fr/idees/edouard-glissant-et-son-tout-monde,58073.php
Ci-dessous le magnifique texte du manifeste.

Le manifeste antillais, février 2009

 
C'est en solidarité pleine et sans réserve aucune que nous saluons le profond mouvement social qui s'est installé en Guadeloupe, puis en Martinique, et qui tend à se répandre à la Guyane et à la Réunion. Aucune de nos revendications n'est illégitime. Aucune n'est irrationnelle en soi, et surtout pas plus démesurée que les rouages du système auquel elle se confronte. Aucune ne saurait donc être négligée dans ce qu'elle représente, ni dans ce qu'elle implique en relation avec l'ensemble des autres revendications. Car la force de ce mouvement est d'avoir su organiser sur une même base ce qui jusqu'alors s'était vu disjoint, voire isolé dans la cécité catégorielle –– à savoir les luttes jusqu'alors inaudibles dans les administrations, les hôpitaux, les établissements scolaires, les entreprises, les collectivités territoriales, tout le monde associatif, toutes les professions artisanales ou libérales...

Mais le plus important est que la dynamique du Lyannaj –– qui est d'allier et de rallier, de lier relier et relayer tout ce qui se trouvait désolidarisé –– est que la souffrance réelle du plus grand nombre (confrontée à un délire de concentrations économiques, d'ententes et de profits) rejoint des aspirations diffuses, encore inexprimables mais bien réelles, chez les jeunes, les grandes personnes, oubliés, invisibles et autres souffrants indéchiffrables de nos sociétés. La plupart de ceux qui y défilent en masse découvrent (ou recommencent à se souvenir) que l'on peut saisir l'impossible au collet, ou enlever le trône de notre renoncement à la fatalité.

Cette grève est donc plus que légitime, et plus que bienfaisante, et ceux qui défaillent, temporisent, tergiversent, faillissent à lui porter des réponses décentes, se rapetissent et se condamnent.

Dès lors, derrière le prosaïque du « pouvoir d'achat » ou du « panier de la ménagère », se profile l'essentiel qui nous manque et qui donne du sens à l'existence, à savoir : le poétique. Toute vie humaine un peu équilibrée s'articule entre, d'un côté, les nécessités immédiates du boire-survivre-manger (en clair : le prosaïque) ; et, de l'autre, l'aspiration à un épanouissement de soi, là où la nourriture est de dignité, d'honneur, de musique, de chants, de sports, de danses, de lectures, de philosophie, de spiritualité, d'amour, de temps libre affecté à l'accomplissement du grand désir intime (en clair : le poétique). Comme le propose Edgar Morin, le vivre-pour-vivre, tout comme le vivre-pour-soi n'ouvrent à aucune plénitude sans le donner-à-vivre à ce que nous aimons, à ceux que nous aimons, aux impossibles et aux dépassements auxquels nous aspirons.

Ce système nous condamne à deux misères profondes
: être « consommateur » ou bien « producteur ». (1)


La « hausse des prix » ou « la vie chère » ne sont pas de petits diables-ziguidi qui surgissent devant nous en cruauté spontanée, ou de la seule cuisse de quelques purs békés. Ce sont les résultantes d'une dentition de système où règne le dogme du libéralisme économique. Ce dernier s'est emparé de la planète, il pèse sur la totalité des peuples, et il préside dans tous les imaginaires –– non à une épuration ethnique, mais bien à une sorte « d'épuration éthique » (entendre : désenchantement, désacralisation, désymbolisation, déconstruction même) de tout le fait humain. Ce système a confiné nos existences dans des individuations égoïstes qui vous suppriment tout horizon et vous condamnent à deux misères profondes : être « consommateur » ou bien être « producteur ». Le consommateur ne travaillant que pour consommer ce que produit sa force de travail devenue marchandise ; et le producteur réduisant sa production à l'unique perspective de profits sans limites pour des consommations fantasmées sans limites. L'ensemble ouvre à cette socialisation anti-sociale, dont parlait André Gorz, et où l'économique devient ainsi sa propre finalité et déserte tout le reste.
Alors, quand le « prosaïque » n'ouvre pas aux élévations du « poétique », quand il devient sa propre finalité et se consume ainsi, nous avons tendance à croire que les aspirations de notre vie, et son besoin de sens, peuvent se loger dans ces codes-barres que sont « le pouvoir d'achat » ou « le panier de la ménagère ». Et pire : nous finissons par penser que la gestion vertueuse des misères les plus intolérables relève d'une politique humaine ou progressiste. Il est donc urgent d'escorter les « produits de premières nécessités », d'une autre catégorie de denrées ou de facteurs qui relèveraient résolument d'une « haute nécessité ».

Par cette idée de « haute nécessité », nous appelons à prendre conscience du poétique déjà en œuvre dans un mouvement qui, au-delà du pouvoir d'achat, relève d'une exigence existentielle réelle, d'un appel très profond au plus noble de la vie.

Alors que mettre dans ces « produits » de haute nécessité ?

C'est tout ce qui constitue le cœur de notre souffrant désir de faire peuple et nation, d'entrer en dignité sur la grand-scène du monde, et qui ne se trouve pas aujourd'hui au centre des négociations en Martinique et en Guadeloupe, et bientôt sans doute en Guyane et à la Réunion.
D'abord, il ne saurait y avoir d'avancées sociales qui se contenteraient d'elles-mêmes. Toute avancée sociale ne se réalise vraiment que dans une expérience politique qui tirerait les leçons structurantes de ce qui s'est passé. Ce mouvement a mis en exergue le tragique émiettement institutionnel de nos pays, et l'absence de pouvoir qui lui sert d'ossature. Le « déterminant » ou bien le « décisif » s'obtient par des voyages ou par le téléphone. La compétence n'arrive que par des émissaires. La désinvolture et le mépris rôdent à tous les étages. L'éloignement, l'aveuglement et la déformation président aux analyses. L'imbroglio des pseudos pouvoirs Région-Département-Préfet, tout comme cette chose qu'est l'association des maires, ont montré leur impuissance, même leur effondrement, quand une revendication massive et sérieuse surgit dans une entité culturelle historique identitaire humaine, distincte de celle de la métropole administrante, mais qui ne s'est jamais vue traitée comme telle. Les slogans et les demandes ont tout de suite sauté par-dessus nos « présidents locaux » pour s'en aller mander ailleurs. Hélas, tout victoire sociale qui s'obtiendrait ainsi (dans ce bond par-dessus nous-mêmes), et qui s'arrêterait là, renforcerait notre assimilation, donc conforterait notre inexistence au monde et nos pseudos pouvoirs.

Nous vivre caribéens, nous penser américains,
mais dans une contestation radicale
du capitalisme contemporain


Ce mouvement se doit donc de fleurir en vision politique, laquelle devrait ouvrir à une force politique de renouvellement et de projection apte à nous faire accéder à la responsabilité de nous-mêmes par nous-mêmes et au pouvoir de nous-mêmes sur nous-mêmes. Et même si un tel pouvoir ne résoudrait vraiment aucun de ces problèmes, il nous permettrait à tout le moins de les aborder désormais en saine responsabilité, et donc de les traiter enfin plutôt que d'acquiescer aux sous-traitances. La question békée et des ghettos qui germent ici où là, est une petite question qu'une responsabilité politique endogène peut régler. Celle de la répartition et de la protection de nos terres à tous points de vue aussi. Celle de l'accueil préférentiel de nos jeunes tout autant. Celle d'une autre Justice ou de la lutte contre les fléaux de la drogue en relève largement... Le déficit en responsabilité crée amertume, xénophobie, crainte de l'autre, confiance réduite en soi... La question de la responsabilité est donc de haute nécessité. C'est dans l'irresponsabilité collective que se nichent les blocages persistants dans les négociations actuelles. Et c'est dans la responsabilité que se trouve l'invention, la souplesse, la créativité, la nécessité de trouver des solutions endogènes praticables. C'est dans la responsabilité que l'échec ou l'impuissance devient un lieu d'expérience véritable et de maturation. C'est en responsabilité que l'on tend plus rapidement et plus positivement vers ce qui relève de l'essentiel, tant dans les luttes que dans les aspirations ou dans les analyses.

Ensuite, il y a la haute nécessité de comprendre que le labyrinthe obscur et indémêlable des prix (marges, sous-marges, commissions occultes et profits indécents) est inscrit dans une logique de système libéral marchand, lequel s'est étendu à l'ensemble de la planète avec la force aveugle d'une religion.
Ils sont aussi enchâssés dans une absurdité coloniale qui nous a détournés de notre manger-pays, de notre environnement proche et de nos réalités culturelles, pour nous livrer sans pantalon et sans jardins-bokay aux modes alimentaires européens. C'est comme si la France avait été formatée pour importer toute son alimentation et ses produits de grande nécessité depuis des milliers et des milliers de kilomètres. Négocier dans ce cadre colonial absurde avec l'insondable chaîne des opérateurs et des intermédiaires peut certes améliorer quelque souffrance dans l'immédiat ; mais l'illusoire bienfaisance de ces accords sera vite balayée par le principe du « Marché » et par tous ces mécanismes que créent un nuage de voracités, (donc de profitations nourries par « l'esprit colonial » et régulées par la distance) que les primes, gels, aménagements vertueux, réductions opportunistes, pianotements dérisoires de l'octroi de mer, ne sauraient endiguer.

Il y a donc une haute nécessité à nous vivre caribéens dans nos imports-exports vitaux, à nous penser américains pour la satisfaction de nos nécessités, de notre autosuffisance énergétique et alimentaire. L'autre très haute nécessité est ensuite de s'inscrire dans une contestation radicale du capitalisme contemporain qui n'est pas une perversion mais bien la plénitude hystérique d'un dogme. La haute nécessité est de tenter tout de suite de jeter les bases d'une société non économique, où l'idée de développement à croissance continuelle serait écartée au profit de celle d'épanouissement ; où emploi, salaire, consommation et production serait des lieux de création de soi et de parachèvement de l'humain. Si le capitalisme (dans son principe très pur qui est la forme contemporaine) a créé ce Frankenstein consommateur qui se réduit à son panier de nécessités, il engendre aussi de bien lamentables « producteurs » –– chefs d'entreprises, entrepreneurs, et autres socioprofessionnels ineptes –– incapables de tressaillements en face d'un sursaut de souffrance et de l'impérieuse nécessité d'un autre imaginaire politique, économique, social et culturel. Et là, il n'existe pas de camps différents. Nous sommes tous victimes d'un système flou, globalisé, qu'il nous faut affronter ensemble. Ouvriers et petits patrons, consommateurs et producteurs, portent quelque part en eux, silencieuse mais bien irréductible, cette haute nécessité qu'il nous faut réveiller, à savoir: vivre la vie, et sa propre vie, dans l'élévation constante vers le plus noble et le plus exigeant, et donc vers le plus épanouissant.
Ce qui revient à vivre sa vie, et la vie, dans toute l'ampleur du poétique.

On peut mettre la grande distribution à genoux en mangeant sain et autrement.

On peut renvoyer la Sara et les compagnies pétrolières aux oubliettes, en rompant avec le tout automobile.

On peut endiguer les agences de l'eau, leurs prix exorbitants, en considérant la moindre goutte sans attendre comme une denrée précieuse, à protéger partout, à utiliser comme on le ferait des dernières chiquetailles d'un trésor qui appartient à tous.

On ne peut vaincre ni dépasser le prosaïque en demeurant dans la caverne du prosaïque, il faut ouvrir en poétique, en décroissance et en sobriété. Rien de ces institutions si arrogantes et puissantes aujourd'hui (banques, firmes transnationales, grandes surfaces, entrepreneurs de santé, téléphonie mobile...) ne sauraient ni ne pourraient y résister.

Réclamer une augmentation de salaire
conséquente n'est en rien illégitime : c'est le début
d'une équité qui doit se faire mondiale.


Enfin, sur la question des salaires et de l'emploi.
Là aussi il nous faut déterminer la haute nécessité.
Le capitalisme contemporain réduit la part salariale à mesure qu'il augmente sa production et ses profits. Le chômage est une conséquence directe de la diminution de son besoin de main d'œuvre. Quand il délocalise, ce n'est pas dans la recherche d'une main d'œuvre abondante, mais dans le souci d'un effondrement plus accéléré de la part salariale. Toute déflation salariale dégage des profits qui vont de suite au grand jeu welto de la finance. Réclamer une augmentation de salaire conséquente n'est donc en rien illégitime : c'est le début d'une équité qui doit se faire mondiale.

Quant à l'idée du « plein emploi », elle nous a été clouée dans l'imaginaire par les nécessités du développement industriel et les épurations éthiques qui l'ont accompagnée. Le travail à l'origine était inscrit dans un système symbolique et sacré (d'ordre politique, culturel, personnel) qui en déterminait les ampleurs et le sens. Sous la régie capitaliste, il a perdu son sens créateur et sa vertu épanouissante à mesure qu'il devenait, au détriment de tout le reste, tout à la fois un simple « emploi », et l'unique colonne vertébrale de nos semaines et de nos jours. Le travail a achevé de perdre toute signifiance quand, devenu lui-même une simple marchandise, il s'est mis à n'ouvrir qu'à la consommation.
Nous sommes maintenant au fond du gouffre.

Il nous faut donc réinstaller le travail au sein du poétique. Même acharné, même pénible, qu'il redevienne un lieu d'accomplissement, d'invention sociale et de construction de soi, ou alors qu'il en soit un outil secondaire parmi d'autres. Il y a des myriades de compétences, de talents, de créativités, de folies bienfaisantes, qui se trouvent en ce moment stérilisés dans les couloirs ANPE et les camps sans barbelés du chômage structurel né du capitalisme. Même quand nous nous serons débarrassés du dogme marchand, les avancées technologiques (vouées à la sobriété et à la décroissance sélective) nous aiderons à transformer la valeur-travail en une sorte d'arc-en-ciel, allant du simple outil accessoire jusqu'à l'équation d'une activité à haute incandescence créatrice. Le plein emploi ne sera pas du prosaïque productiviste, mais il s'envisagera dans ce qu'il peut créer en socialisation, en autoproduction, en temps libre, en temps mort, en ce qu'il pourra permettre de solidarités, de partages, de soutiens aux plus démantelés, de revitalisations écologiques de notre environnement...
Il s'envisagera en « tout ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue ».
Il y aura du travail et des revenus de citoyenneté dans ce qui stimule, qui aide à rêver, qui mène à méditer ou qui ouvre aux délices de l'ennui, qui installe en musique, qui oriente en randonnée dans le pays des livres, des arts, du chant, de la philosophie, de l'étude ou de la consommation de haute nécessité qui ouvre à création –– créaconsommation.
En valeur poétique, il n'existe ni chômage ni plein emploi ni assistanat, mais autorégénération et autoréorganisation, mais du possible à l'infini pour tous les talents, toutes les aspirations. En valeur poétique, le PIB des sociétés économiques révèle sa brutalité.

Voici ce premier panier que nous apportons à toutes les tables de négociations et à leurs prolongements : que le principe de gratuité soit posé pour tout ce qui permet un dégagement des chaînes, une amplification de l'imaginaire, une stimulation des facultés cognitives, une mise en créativité de tous, un déboulé sans manman de l'esprit. Que ce principe balise les chemins vers le livre, les contes, le théâtre, la musique, la danse, les arts visuels, l'artisanat, la culture et l'agriculture... Qu'il soit inscrit au porche des maternelles, des écoles, des lycées et collèges, des universités et de tous les lieux connaissance et de formation... Qu'il ouvre à des usages créateurs des technologies neuves et du cyberespace. Qu'il favorise tout ce qui permet d'entrer en Relation (rencontres, contacts, coopérations, interactions, errances qui orientent) avec les virtualités imprévisibles du Tout-Monde... C'est le gratuit en son principe qui permettra aux politiques sociales et culturelles publiques de déterminer l'ampleur des exceptions. C'est à partir de ce principe que nous devrons imaginer des échelles non marchandes allant du totalement gratuit à la participation réduite ou symbolique, du financement public au financement individuel et volontaire... C'est le gratuit en son principe qui devrait s'installer aux fondements de nos sociétés neuves et de nos solidarités imaginantes...

Projetons nos imaginaires dans ces hautes nécessités jusqu'à ce que la force du Lyannaj ou bien du vivre-ensemble, ne soit plus un « panier de ménagère », mais le souci démultiplié d'une plénitude de l'idée de l'humain.

Nous appelons donc à ces utopies où le Politique
ne serait pas réduit à la gestion des misères
inadmissibles ni à la régulation des sauvageries du "Marché"


Imaginons ensemble un cadre politique de responsabilité pleine, dans des sociétés martiniquaise, guadeloupéenne, guyanaise, réunionnaise nouvelles, prenant leur part souveraine aux luttes planétaires contre le capitalisme et pour un monde écologiquement nouveau.

Profitons de cette conscience ouverte, à vif, pour que les négociations se nourrissent, prolongent et s'ouvrent comme une floraison dans une audience totale, sur ces nations qui sont les nôtres.

An gwan lodyans qui ne craint ni ne déserte les grands frissons de l'utopie.

Nous appelons donc à ces utopies où le Politique ne serait pas réduit à la gestion des misères inadmissibles ni à la régulation des sauvageries du « Marché », mais où il retrouverait son essence au service de tout ce qui confère une âme au prosaïque en le dépassant ou en l'instrumentalisant de la manière la plus étroite.

Nous appelons à une haute politique, à un art politique, qui installe l'individu, sa relation à l'Autre, au centre d'un projet commun où règne ce que la vie a de plus exigeant, de plus intense et de plus éclatant, et donc de plus sensible à la beauté.

Ainsi, chers compatriotes, en nous débarrassant des archaïsmes coloniaux, de la dépendance et de l'assistanat, en nous inscrivant résolument dans l'épanouissement écologique de nos pays et du monde à venir, en contestant la violence économique et le système marchand, nous naîtrons au monde avec une visibilité levée du post-capitalisme et d'un rapport écologique global aux équilibres de la planète....

Alors voici notre vision :
Petits pays, soudain au cœur nouveau du monde, soudain immenses d'être les premiers exemples de sociétés post-capitalistes, capables de mettre en œuvre un épanouissement humain qui s'inscrit dans l'horizontale plénitude du vivant....

Ernest BRELEUR
Patrick CHAMOISEAU
Serge DOMI
Gérard DELVER
Edouard GLISSANT
Guillaume PIGEARD DE GURBERT
Olivier PORTECOP
Olivier PULVAR
Jean-Claude WILLIAM


 

samedi 13 novembre 2010

Publication

Suite au concours des Editions du Bord du Lot, mon texte d'inspiration tantrique va être publié dans le recueil de poèmes érotiques "Entre vers et rose" et en vente dans quelques jours.
http://www.bordulot.fr/index.html

dimanche 31 octobre 2010

A Bruxelles

j'ai fait le lien entre Raymond Depardon et Breughel. La photo de Berck-Plage, avec les cerfs-volants, ressemble à un tableau de Breughel l'Ancien.
Je n'ai pas ramassé de choux mais j'ai mangé des crevettes de la mer du nord en pensant au terrain vague de Jacques Brel. Et je n'ai pas pu éviter le chocolat.


J'ai aussi trouvé la trace de Rimbaud et Verlaine.

vendredi 29 octobre 2010

Raymond Depardon à la BNF

N'ayant pu avoir accès à l'exposition Monet, je suis allée voir l'exposition Depardon à la BNF et ne l'ai pas regretté. C'est un travail magnifique, j'ai ressenti une forte émotion poétique dans sa recherche et dans les tirages grand format qui transforment  ces portions de réel banal en tableaux de maître. Si on parle de géopoétique, Raymond Depardon est vraiment un géographe (qui écrit la terre) et un géopoéticien (qui cherche à lire les lignes du monde). Le résultat est d'autant plus poétique qu'à aucun moment, il ne cherche à faire poétique, montrer suffit. La composition de chaque photo comporte des rimes (correspondances de lignes ou de couleurs, parallélismes) qui témoignent à qui sait voir du travail de recherche préalable, masqué par une simplicité apparente.
Voici le lien de la BNF François Mitterand: http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_expositions/f.france_depardon.html
Le hors série de Télérama est passionnant, et bien sûr, on peut garder trace des photos dans le livre publié, mais les grands formats exposés sont beaucoup plus "parlants".
Le géographe Michel Lussault, dans Télérama, rappelle l'origine du mot "exister": "être placé" ou "sortir de", selon la version du Robert culturel, et cite Georges Pérec: "Vivre, c'est passer d'un endroit à un autre en essayant de ne pas se cogner" (dans Espèces d'Espaces).

dimanche 17 octobre 2010

Extrait de la Lettre de l’AEB


 
Coup de cœur pour Les Veuves de verre d'Alexis Gloaguen, chez Maurice Nadeau.


Depuis que j'ai fait la connaissance du poète Alexis Gloaguen au Festival de la Parole Poétique, il est devenu l'un de mes maîtres en écriture. Il écrit toujours en extérieur, pour rendre compte de la poétique du monde, que ce soit dans le froid de Saint-Pierre-et-Miquelon, la nuit dans les marais de Séné ou dans la neige des Highlands d'Écosse. Je suis fascinée par sa capacité de passer insensiblement d'une description à une méditation poétique sur la vie, le monde, l'écriture. Je l'ai cité dans mon dernier ouvrage, je le cite encore dans le suivant (en recherche d'éditeur…). Jusqu'à présent, se procurer ses livres tenait du coup de chance, et voilà qu'il a enfin trouvé un éditeur en la personne de Maurice Nadeau, pour le début d'une série d'ouvrages sur les mégalopoles.

Les « Veuves de verre » désignent les tours des grandes villes nord-américaines où il a beaucoup voyagé, c'est un régal de poésie, de méditations, d'humanité, où l'on sent parfois sourdre discrètement la souffrance intérieure du poète. En retraite de l'Éducation Nationale, Alexis Gloaguen est maintenant installé en Bretagne, où, comme l'a dit le journaliste de France 3 Bretagne, « il a acheté un grand chêne », sous lequel on le voyait dans le reportage, tel un druide-poète, alchimiste de l'écriture « du dérisoire », son territoire de recherches. « Or c'est le dérisoire qui marque l'essentiel », écrit-il. Georges Perros disait aussi : « On peut être un grand poète à propos de tout et de rien (la cause ici, c'est le langage) » ( Papiers collés I). Alexis Gloaguen est un grand poète qui nous fait l'honneur de sa présence au sein de l'AEB.

Cet hiver, il sera en résidence d'artiste au phare d'Ouessant.



Mireille le Liboux

mardi 7 septembre 2010

Grand nord, grand sud, à l'Abbaye de Daoulas

Dans la nuit boréale, le sculpteur taille un os de baleine, un os fossile, mémoire géologique.
L'artiste Inuit sculpte une oie des neiges, certitude de la fin de la nuit polaire.
Dans la nuit de décembre, j'attends les oies sauvages, cadeau de l'hiver atlantique.

lundi 6 septembre 2010

Groix au mois d'août


Pluie d'été sur l'île

 
Sous la pluie d'été

personne sur le sentier

l'île semble déserte.


 

Une échancrure dans les roches noires :

par cette ouverture

je contemple la mer grise

vers l'horizon noyé

la possibilité d'une autre vie

d'autres villes

je cherche le visage du voyage.


 

Voix du vent et du ressac

oiseaux blancs happés par les courants

cris des sternes dans les couloirs de falaise

ici loin des hommes

la solitude est abolie

par la pleine présence du monde.


 

Consolation dans ce pays de l'âme :

j'écoute les conversations des goélands marins

sous la pluie légère

en écrivant sur un carnet mouillé

les variations incessantes du paysage brouillé.


 

Visite d'un vol de grands corbeaux :

ils tournoient

noirs sur le ciel de perle

me saluent d'un cri rauque et complice

et disparaissent.


 

Plus loin, le gouffre sombre du Trou de l'enfer

est peut-être une porte de l'enfer froid des Celtes

an Ifern yen, où la mort est accueillante.


 

Enez Groe, le 17 août 2010
© Mireille le Liboux

vendredi 27 août 2010

Le nouveau recueil de Christine De Luca et deux visions indiennes.


Quelle joie de trouver le nouveau recueil de Christine De Luca dans ma boîte à lettres ce matin! Thank you so much, Christine!


North end of Eden, un titre qui déjà nous emmène vers un monde hyperboréen.
Armée de mon meilleur dictionnaire, je vais essayer de lire, du moins l'anglais. Pour le shetlandic, ça va être plus compliqué. J'ai retrouvé avec plaisir les poèmes sur la danse bretonne à Ouessant, traduits dans Mondes parallèles. 
Et mon oeil s'est arrêté sur l'Inde," première rencontre avec l'Inde". J'aime beaucoup comparer les impressions de voyage. Je recopie le texte, le mien sera en-dessous. Je ne comprends pas tout, mais j'aime les mots et les images "beyond the need of words".

Meeting India for the first time.
Closest I ever got to you was watching
a lissom Indian dancer. After the drama
of the Scots girls with their kilted kicking,
then clicking Irish feet and stair-rod arms,
her body flowed delight, without a sound.
As she turned, it seemed she conjured birds
mysterious from trees; a story grounded,
pre-verbal, beyond the need of words.

She hid from view the endless repetition,
the strain of learning every tiny movement.
It seemed a gift she opened for our pleasure
an invitation. there was no partition
of spirit or of mind from body. Barefoot,
she danced us back into a youthful future.

Maintenant mon texte ramené d'Inde du sud, une sorte de "Mahamudra", pour penser à Kenneth White, ou d'"Union libre", pour penser à André Breton. Attention, je ne me compare pas plus à l'un qu'à l'autre! Il s'agit de sources d'inspiration peut-être ou de résonances, puisque je n'ai pensé consciemment à ces références qu'après avoir écrit le texte.



La danse de Shakti et Shiva

 

 

Tes cheveux, tes cheveux

tes cheveux dans la nuit

tes cheveux de lune


 

tes yeux, tes yeux

tes yeux d'ancolie

tristes et doux

tes yeux de perle noire


 

ta bouche, ta bouche

ta bouche de gingembre

où se mêlent nos langues

en un sabir nouveau

langue exquise et mystérieuse

par nous seuls inventée


 

tes mains, tes mains

tes mains douces sur ma peau

tes mains de coriandre

par tes mains me pénètre

the poem of India


 

tes bras, tes bras

berceau sur l'océan

tes bras de palissandre

dans tes aisselles je me love

tes aisselles de nid d'hirondelle

porte ouverte

vers des univers

parallèles


 

tes jambes, tes jambes

tes jambes de santal

piliers de ce sanctuaire

où repose mon cœur


 

ta peau, ta peau

ta peau de cannelle

sur l'océan de ta peau je nage

dans les eaux rouges du Bengale


 

ton sexe, ton sexe

ton sexe d'ambre

de ton sexe tu m'enfantes

dans les tourbillons moites

d'un ventilateur fou

la vie monte en spirale

à la même seconde

je meurs et je renais


 

tes yeux, tes yeux

dans tes yeux j'ai cru voir

dans cet instant unique

la danse de Shakti et Shiva

sur la roue du Dharma.


 

Rêvé à Thanjavour, le vendredi 19 février 2010

Ce texte a été publié suite à un concours par les Editions du bord du Lot dans l'anthologie Entre vers et rose, puis en 2011 dans Au pays où les chats font du yoga, Mireille Le Liboux, An Arvor éditions.

jeudi 26 août 2010

Ouessant


Partir, c'est se départir de soi, laisser un peu de ses identités, faire le vide au centre, déverrouiller les yeux et le cœur, accueillir la lumière qui passe, les sourires fugaces.

Partir pour une île, c'est sentir le souffle du vent.

Aventure.

Ouverture.

Dans le cercle de l'île, unité première, tu voyages, le visage au vent.

Attentif à la surprise, tu brises les frontières, dans le monde clos de l'île.

Dans Utopia, tu cherches le visage du voyage.


 

A Ouessant, impossible d'échapper au vent.

De l'occident à l'orient, Kornog¹ ouvre le monde à tous les vents.

L'île flotte à ras d'écume.

Force brute des éléments.

Mémoire du volcan.

Des pointes de roche déchirent le ciel, chaos de schiste et de granit.

Cinq phares érigés en sentinelles pointent du doigt la cruauté.

Errance des naufragés.

La nuit, Creac'h découpe la lumière en noir et blanc, entre ses lames, les écueils en stroboscopie .

Rouge, le sang. Navigue dans le blanc.

Autour de l'île s'entrechoquent les grands courants. Fromveur , Fromrust
². Dans les maëlstroms s'abolissent les illusions.

Marée haute, marée basse, grande lessive.

Tu erres dans l'île, dépouillé de toute identité.

Enez Eusa , terre à part, arche amarrée au bord du monde pour le jour du grand départ, quand aura disparu la mémoire de l'humain.

Uxisama³, chaudron où tourbillonne en borborygmes le magma rouge du renouveau.

D'ouest en est, du nord au sud, le visage de la déesse, et la courbe de l'horizon au fond des yeux.


 


 

1. Kornog : vent d'ouest en Breton.

2. Fromveur, courant violent au sud, traduit par « grand torrent ». Fromrust, courant au nord, rust veut dire « rude ».

3. Enez Eusa : Ouessant en Breton, vient du Gaulois Uxisama, « l'île la plus haute ».


 

© Mireille Le Liboux

mercredi 28 juillet 2010

Grand nord, grand sud, à l'Abbaye de Daoulas

Artistes Inuit et Aborigènes, à voir jusqu'au 28 novembre 2010.
Un moyen pour saisir la différence entre l'art ancré à la terre ( ce qui n'empêche pas de lever l'ancre comme l'a dit Melaine Favennec) et l'artificiel hors sol. Et qu'on arrête de nous bassiner avec les racines qui nous feraient tournés vers le passé!
Quelques phrases relevées au cours de la visite:
"Dans les cultures aborigènes traditionnelles, le territoire est considéré comme matérialisation d'une géographie mythique créée par les ancêtres." Ces mythes" jouent un rôle central dans la lecture d'un paysage".
"Selon la conception aborigène, la relation existentielle qui unit le peintre à sa terre donne à ces paysages le statut d'autoportrait" (sur Rammey Rammsey, né en 1935, Australie.)
J'ai été subjuguée par le hibou-chamane et j'ai sympathisé avec les esprits mimi (allez savoir pourquoi...), j'ai aimé l'oie sauvage qui là-bas indique le printemps (ici, c'est l'hiver qu'elle annonce) et par le grand corbeau.
Le lien de l'expo: http://www.cheminsdupatrimoineenfinistere.com/daoulas-lesactualitesexpositionencours.html


mercredi 21 juillet 2010

Iles


Extrait de mon parcours géopoétique, L'empreinte des cygnes.  
Je serai au Festival interceltique de Lorient les 10 et 14 août. 


Groix
  A Larmor, j'ai toujours l'île de Groix dans ma ligne d'horizon. Depuis la plage, apercevoir les Sables blancs est une invite à une escale sur l'autre rive. La nuit, l'éclat du phare de Pen Men ravive le rêve.
  31 octobre, embarquement sur le Saint-Tudy. Même pour un trajet si court, le bateau vous fait croire à l'aventure. Il suffit de regarder les passagers, appareils photos en action. Quant aux enfants, accrochés au bastingage, ils prennent leur envol.
Il fait un peu frais, on reste sur le pont, mais on ferme sa veste de quart rouge, on remonte sa capuche discrètement. Les amoureux se tiennent la main, on largue les amarres.
  Port Saint-Tudy.
Il faut monter au bourg, que personne ne nomme Loctudy en dehors du panneau indicateur. Un ancien café indique toujours sur sa façade : « Au repos de la montée », c'est dire l'effort à fournir, surtout si on fait une halte à mi-côte chez Ti Beudeff. J'arrive à La Grek, maison d'hôte.
La Grek, emblème de l'île, est cette grande cafetière qui autrefois, avant le Coca-Cola, et même le Breizh-Cola, vous gardait au coin de la cuisinière son café au chaud, pour ne jamais faillir à l'hospitalité du café-pain-beurre.
  Saint-Tudy, un thon sur le rond-point du port indique la direction, un thon sur le clocher de l'église indique d'où souffle le vent. Au bourg, le style des maçons italiens a imprimé sa marque sur les façades.
Pour manger, on peut choisir entre Vins et marées et Les Alizés.

 
Groix.
La pointe des Chats.
Kerampoulo
Locmaria
sables rouges
sables blancs
micaschistes à grenats.

 
Des plis de la roche
mise à nu par la vague
affleure la vérité
sous la peau de la pierre.

 
Grenats
ventricules ouverts
fleurs de sang
offertes au passant.

 
La pierre indifférente
à cette incandescence
statue de Bouddha.

 
Sur les rochers de Locmaria gisent les restes d'un cargo démantelé, découvert à marée basse. Les restes de ses membrures décharnées, éparpillés sur le plateau rocheux, évoquent le squelette de quelque animal monstrueux. Seul le vestige de la cabine de pilotage témoigne d'un passé qui fut humain. Peu à peu le métal travaillé par les hommes se dissout et se fond à la roche. L'usure du temps et des éléments le ramène à son état originel de minerai, le rend à la Terre. Algues et anatifes l'ont colonisé depuis longtemps, anticipant ainsi son retour aux origines.
Ainsi que le dit le peintre japonais Yasse Tabuchi :
  Avancer, c'est sans cesse retourner à ses propres origines*.
  A Locqueltas, le trou de l'Enfer, falaise verticale, vertige du vide. Pas envie d'y perdre son âme, même pour quelques pouces-pieds.
Rêves d'errance, dans la lande à bruyère vagabonde (erica vagans) qui ne pousse, en Bretagne, qu'à Groix et à Belle-Ile.
  Crehal, Quéhello, l'anse de Saint-Nicolas.
Kerlard, Kervédan, un menhir dans la lande.
Le camp des Gaulois.
  Le Trou du Tonnerre et le grand phare, Pen Men.
Tout près, dans la réserve naturelle, les cormorans se croient tout permis.
Sur la côte nord, depuis la pointe du Grognon, je cherche sur la rive d'en face, le clocher de Larmor.
Quelhuit, d'où Yann-Ber Calloc'h nous parle encore de Bretagne et de guerre.
« Me 'zo ganet e kreizh er mor
E bro Arvor. »
(Je suis né au milieu de la mer / Au pays d'Armor).

jeudi 1 juillet 2010

Autobiographie dans "Interventions à Haute Voix" n°46



Autobiographie en noir et blanc
à la manière de l'OULIPO

 

  Je naquis au Havre un vingt et un février
en mille neuf cent et trois.
Ma mère était mercière et mon père mercier :
ils trépignaient de joie. 
Raymond Queneau. Chêne et chien.


 

 

 
Je naquis en Indre-et-Loire un vingt-huit juin

en mille neuf cent cinquante-et-un.

Mon père était marin d'état

ma mère très tôt de cet état

déclara : femme de marin

ne serais pas

et retourna chez son papa.


 

Mes deux géniteurs s'éloignèrent

portés par des courants contraires

puis très vite se firent la guerre.


 

Pourtant deux filles cohabitèrent

dans le ventre de la mère

qui de toutes façons

voulait un garçon.

D'un ventre si peu accueillant

nous fûmes expulsées prématurément.

P'tite sœur tira sa révérence

et reste à jamais innommée

sans tombe ni identité.

Moi, allez savoir pourquoi

j'me suis accrochée sur terre

seule dans une cage de verre.

Si mes parents trépignèrent de joie

franchement je ne m'en souviens pas

ce que je sais c'est qu' ma mère

se désintéressa de mon cas

et ne me nourrit pas

même à la p'tite cuiller

c'est ma tante qui s'en chargea.


 

Mon père voyagea trois-cent trente jours par an

apparaissant de temps en temps

voyageur étranger de passage

avec son léger bagage.

Il fit un peu semblant d'être père

puis finit par oublier

qu'étaient nés des enfants

pour aller vers des lits plus charmants.

Ma grand-mère c'était encore pire

sorte de triste vampire

elle nous terrorisait par son ire.

Mon grand-père

fut chaleureux un temps

jusqu'à l'âge de mes sept ans

époque où arriva le frère

et ce fut comme un bannissement.


 

Je vécus là des journées solitaires

jusqu'au début de l'école primaire

sans aucun ami ni repères

je ne parlais qu'aux nuages et aux pierres.


 

Des humains je ne savais rien

j'ai dû faire un long chemin

pour apprendre quoi ?

Presque rien.


 

Une vie à chercher son chemin

à vouloir faire machine arrière

à croire parfois en la lumière.


 

Jour après nuit

nuit après jour

maille à l'endroit

maille à l'envers

je suis toujours là sur terre

à me d'mander des fois pourquoi

mais septembre rayonne de lumière

un homme nu nage dans l'anse solitaire

dans la chaleur crépusculaire

finalement la vie c'est comme ça

malgré la peine et la misère

des fois

c'est pas si mal que ça.

Le Pouldu, septembre 2009

  Mireille Le Liboux

mercredi 23 juin 2010

Une poète de Larmor à La maison de la presse

Larmor-Plage
Une poète de Larmor à La maison de la presse 
Après le salon du livre de Vannes, Mireille Le Liboux sera au Festival Interceltique les 10 et 14 août. Son dernier livre, "L'Empreinte des cygnes", cheminement poétique et géographique sur les chemins de Larmor et d'ailleurs, est en vente en librairie à Larmor : maison de la presse et Louise Titi. Maison de la Presse, Larmor-Plage. Contact : tél. 06 84 28 79 85, http://mireilleleliboux.blogspot.com

Dans Infolocale Ouest-France : www.infolocale.fr

"De la véritable poésie, avec des textes longs où alterne prose et poésie". Klaod Thomas. Le Peuple Breton.
"elle nous invite à la suivre, dans son pays à elle, le Mor-Bihan certes, le pays géographique, et l'autre, imperceptible, indicible presque, cette terre d'émotion...Celle qui gagne le lecteur lorsqu'elle l'invite à danser dans la lumière". Louis Gildas, Agence Bretagne Presse.

lundi 21 juin 2010

C'est le dérisoire qui marque l'essentiel

Quoi écrire?  On se pose souvent la question. La réponse d'Alexis Gloaguen me paraît essentielle et ouvre des portes vers l'infini :
"On doit aussi hasarder de nouveaux thèmes. Se précipitent alors les expériences de la vie : les plus petites en apparence, mais les plus révélatrices car celles qui nous trottent en la tête, nous font sourire et dévoilent, en fin de compte, leur gémellité à notre esprit. Jamais, sans doute, on n'aurait cru qu'elles justifieraient une ligne. Et c'était une erreur. en ne manipulant que du matériau noble, on se répétait. On produisait ce que les autres attendaient, on se situait dans une tradition du déjà-dit, ajoutant peut-être des variantes.
Or c'est le dérisoire qui marque l'essentiel."
Les Veuves de verre. Alexis Gloaguen. Chez Maurice Nadeau.

jeudi 10 juin 2010

La machine de l'écriture

"Vers 1963, il s'emballe pour le couple métaphore / métonymie. Telle une baguette de sourcier, le concept, surtout s'il est couplé, lève une possibilité d'écriture : ici, dit-il, gît le pouvoir de dire quelque chose.
L'œuvre procède ainsi par engouements successifs, manies périssables. Le discours avance par petits destins, par crises amoureuses. (Malice de la langue : engouement veut dire obstruction : le mot reste dans la gorge, un certain temps.)"
Roland Barthes par Roland Barthes.

dimanche 6 juin 2010

Texte sur les peintures de Dominique Haab-Camon


J'ai écrit ce texte parmi d'autres au Présidial de Quimperlé sur des tableaux de Dominique Haab-Camon. Dominique expose en ce moment au restaurant Victor Hugo, rue Carnot à Lorient.

 

Coquelicots


 

Sur la toile

je vois des fleurs de sang

quand l'océan trop amoureux

râpe la roche jusqu'aux grenats

sur l'île de Groix.


 

Sur la coque rouillée du cargo

dans le cimetière à bateaux

il voyait des coquelicots

pour Berthe Morisot.


Copyright Mireille Le Liboux

samedi 29 mai 2010

Les châteaux de l'âme

L'expression est de Victor Segalen.
Mon commentaire:
C'est du point de friction entre le Réel et l'Imaginaire, et le mythe, c'est de cette fulgurance que surgit l'être au monde, c'est-à-dire la poésie, indépendamment de la banalité, parfois cruelle, de la réalité.

mercredi 19 mai 2010

Consolation


  Quand le monde se refuse

quand les mots restent emprisonnés dans leur gangue

je convoque la pierre blanche

la coquille intérieure.

*
Au bord du noir

l'épaule du roc

et cette ligne de quartz blanc

dans la fracture.

Consolation.


La consolation des pierres
A paraître en édition bilingue français-breton.
Titre et textes déposés chez Copyright .  © Chemins bleus / hentoù glas

mercredi 12 mai 2010

Les hommes, les femmes et l'écriture, selon LIN Yutang

"Exprimer des pensées claires dans une langue obscure, c'est le fait d'un célibataire endurci. Il n'a jamais rien eu à exprimer à une femme. Exemple, Emmanuel Kant."
P. 390, dans L'importance de vivre, Picquier.

lundi 10 mai 2010

Article de Louis Gildas sur Agence Bretagne Presse

L'empreinte des cygnes de Mireille Le Liboux
De notre correspondant : Louis Gildas
Publié le 10/05/10
LORIENT/AN ORIANT C'est un bien joli livre que Mireille Le Liboux, Bretonne et poète, à moins que ce ne soit le contraire, nous offre ici en partage. Entre poème et prose, elle nous invite à la suivre dans son pays à elle, le Mor-bihan certes, le pays géographique et l'autre, imperceptible à qui ne sait, indicible presque cette terre d''émotion... Celle qui gagne le lecteur lorsque l'auteur l'invite à venir danser dans la lumière pour y faire de joyeuses et de roboratives rencontres... Celle de ses complices en écriture, en poésie, Le Gouic, Kenneth White ou encore Bernard Berrou... En quatrième de couv, comme on dit dans le métier, Bruno Geneste lui-même poète, parle de la femme poète et de cette Empreinte des cygnes comme d'une quête d'harmonie lorsque le coeur, entre nature et solitude, bat à la chanson du vent...
Lire la suite sur le site:http://www.agencebretagnepresse.com/fetch.php?id=18242
(dans les sites amis)

lundi 19 avril 2010

Pensées sauvages

"Tu as parcouru dix mille marches à la recherche du dharma.
Tant de jours sans fin à copier les sûtras dans la bibliothèque, à copier, à copier.
La gravité des Tang et la profondeur des Sung sont un lourd bagage.
Pour toi j'ai cueilli quelques fleurs sauvages.
Leur sens est identique, mais elles sont beaucoup plus légères."
Xu Yun (1839-1959), cité par Daniel Odier, Chan et Zen, Pocket, 2009.

dimanche 4 avril 2010

"Mahamudra", Kenneth White

As soon as the conscience

is rid of its covering

it stands out naked

and energy shows its essence


the lotus and the lightning


just as salt is dissolved in water
so the mind that takes its woman


in the arms of the knowledge-girl

earth water fire wind

and space too - honour them

so he comes into relation

with every kind of creature

and knows the path of freedom.

Kenneth White, éditions Mercure de France, 1987, 1999.

samedi 20 mars 2010

C’était avec J.L. Raharimanana à Pont-Aven


Ouest-France / Bretagne / Concarneau / Pont-Aven / Archives du mardi 16-03-2010

Une matinée poétique à la maison de la presse - Pont-Aven

mardi 16 mars 2010

 
On a parlé poésie samedi à la maison de la presse. Jean-Luc Raharimanana et Mireille Le Liboux, poètes, ont donné rendez-vous aux lecteurs pour une séance de dédicace, dans le cadre du 5 e festival de la parole poétique : Za et Fragments de cauchemars et autres fulgurances de gecko, par Jean-Luc Raharimanana, et L'empreinte des signes, par Mireille Le Liboux.
Si Za raconte l'histoire d'un personnage qui a tout perdu, obsédé par la mort de son enfant, Fragments de cauchemars et autres fulgurances de gecko est un texte plus engagé au travers d'une soixantaine de fragments. Comment voit-on le monde lorsqu'on habite dans un pays très pauvre, à l'image de Madagascar, et qu'on regarde de là-bas l'Occident riche bien qu'en crise ?
Jean-Luc Raharimanana a répondu au metteur en scène, Thierry Bedard. Une vingtaine de fragments ont donné naissance à une pièce jouée au festival d'Avignon en 2009 et les autres s'accumulent dans un recueil en cours.
L'empreinte des signes est une sorte de journal poétique et, sur un principe plutôt oriental, un cheminement intérieur. On y trouve des poèmes sur les paysages de Bretagne-Sud, où l'homme retrouve sa place au sein de la nature. L'auteur dédicacera avec Valérie Rabin, dans une librairie lorientaise, Quand les livres s'ouvrent, le vendredi 26 mars à 18 h.

dimanche 14 mars 2010

La porteuse de livres


Je n'ai pas connu René Rougerie mais le hasard a fait que je me suis retrouvée porteuse de son dernier livre, Xavier Grall, Œuvre poétique, à la soirée où il devait le présenter. C'était à Querrien, dans le Finistère, où Yvon Le Men rendait hommage à Xavier Grall, « l'homme qui habitait son nom », dans le cadre du Festival de la Parole Poétique. Mercredi 10 mars le directeur du festival, Bruno Geneste, m'a avertie que l'éditeur était hospitalisé, et m'a demandé, vu que j'habite près de Lorient, si je pouvais prendre les livres à la librairie de Lorient, L'Imaginaire, où ils les avaient déposés et où il avait eu un malaise. Malgré un petit souci de santé, rien de grave, juste ce qui vous met le cerveau en capilotade et vous donne juste envie de rester sous la couette plutôt que de parcourir les routes de campagne du Finistère, la nuit, je ne pouvais refuser ce service, en tant qu'invitée et bénévole du festival.

Me voilà donc en quête des livres jeudi matin, après mes cours au lycée. Là, on m'apprend qu'il n'y en a qu'une partie, ceux pour Yvon sont chez G., poète éditée depuis toujours chez Rougerie, et larmorienne comme moi. Toute la journée, je cherche à la contacter, nos mails et messages téléphoniques s'entrecroisent sans succès, quand l'une est là, l'autre est absente. La fatigue aidant, je renonce, quand finalement, nous arrivons à nous joindre : elle me propose de venir me porter les livres chez moi, finalement je passerai les prendre chez elle en partant à Querrien.

Il faisait un vent froid de Sibérie à vous faire mourir sur place rue de la Marine, les oies bernaches qui hibernent dans l'anse de Kernevel s'en souviennent encore. Je trouvai là Olivier Rougerie, que je ne connaissais pas non plus, qui me proposa de prendre aussi des cartons de livres pour Madame Grall. C'est ainsi que les cartons passèrent de la fourgonnette aux 500 000 kms, dont j'ai appris depuis qu'elle était mythique, au coffre de mon véhicule et que j'arrivai, demi-malade mais triomphante à Querrien, où chacun put récupérer son lot de livres.

Selon les informations, l'état de santé de René Rougerie semblait satisfaisant, c'est pourquoi Yvon Le Men parla avec légèreté de son malaise à la librairie L'Imaginaire, tout un symbole, et nous offrit une belle soirée en faisant revivre avec émotion et sensibilité Xavier Grall, soirée que j'aurais manquée sans cet enchaînement de circonstances. Quelques heures plus tard, dans la nuit, René Rougerie partait au royaume de l'éternelle jeunesse, l'esprit tranquille, sûr d'avoir fait sa part sur terre.

Ce n'est que le samedi 13 que j'ai appris par le journal qu'il avait tiré sa révérence.

Je ne l'aurai pas connu, mais j'aurai fait ma modeste part, porteuse de son dernier livre, porteuse de ce fil invisible mais ininterrompu entre Xavier Grall, René Rougerie, Yvon Le Men, Bruno Geneste…

Le 14 mars 2010, Mireille Le Liboux

Décès de René Rougerie : site de Guy Allix


René est décédé dans la nuit du 11 au 12 mars. En plein printemps des poètes, il est mort un peu comme Molière sur le lieu de sa passion puisque c'est en effet dans une librairie (« L'imaginaire » à Lorient) qu'il a été pris d'un malaise.
Il est mort aussi dans cette Bretagne qu'il aimait et où il allait si souvent sur les pas d'un Saint Pol Roux pour qui il avait tant travaillé.
Il a achevé son œuvre avec la publication d'un dernier Saint Pol Roux et des œuvres complètes de Xavier Grall.
Depuis la publication des Cantilènes en gelée du grand Boris, René n'a cessé de travailler et de défendre cette poésie qu'il aimait tant. Avec son fils Olivier depuis trente ans.
62 années d'un travail acharné, nourri de la force de la seule passion.
62 années de combat, de résistance, d'intransigeance et d'une belle indépendance.
René surtout a toujours su rester intègre. Et cela est bien rare dans le monde des lettres.
Et plus qu'un éditeur patient, attentif et sans complaisance, René savait être l'ami de ceux qu'il publiait. Combien d'entre eux ont pu fréquenter le jardin de Mortemart où la table était toujours ouverte !
Combien René a pu donner à ses amis !
Beaucoup de poètes sont aujourd'hui orphelins.
 Mais il reste l'œuvre qui bat quand le cœur s'est arrêté.
Il reste cette parole de tous ceux qui dès maintenant vont contribuer à faire pleinement connaître celui qui reste finalement un grand éditeur.
Nous voudrions leur donner ici-même la parole sur le site de quelqu'un qui doit tant à René Rougerie. Ce en attendant que les revues fassent leur travail de reconnaissance.
Enfin on ne doit pas oublier l'immense et beau catalogue de René. C'est en lisant les livres Rougerie qu'on continuera à le faire vivre ici et maintenant.
« Je publierai donc tout ce que j'aime. Revendiquant même le droit de me tromper. Refusant toutes les étiquettes, ne me laissant enfermer dans aucun système. Capable d'aimer aussi bien une poésie lyrique que celle concise où chaque mot porte son poids. »
Lire : René Rougerie site Guy Allix


samedi 13 mars 2010

Le fort du Loc'h à Guidel dans « Interventions à Haute Voix » n 45


De l'ombre à la lumière

 
Sur la route côtière lorientaise, entre le Fort-Bloqué et le Bas-Pouldu (ou le trou noir en breton), le Fort du Loch, est posé sur la lande, face à l'océan. Dans L'Amour fou, André Breton, évoque une promenade sur cette côte avec sa compagne, le 20 juillet 1936, et le malaise angoissant ressenti aux alentours du sinistre bâtiment. De retour chez les parents, à Lorient, la conversation s'oriente, sans qu'ils aient évoqué cette triste promenade, vers le crime commis en 1933 par le propriétaire de l'époque : Michel Henriot, éleveur de renards argentés, tua sa femme et fut condamné aux travaux forcés. Le poète surréaliste affirme que ces lieux à l'empreinte maléfique dégagent un «halo » ainsi que Cézanne a voulu le peindre avec La maison du pendu.
Ce petit fort construit au dix-huitième siècle pour protéger le port de Lorient des attaques anglaises, n'a jamais eu à remplir cette fonction. Mais il fut occupé par l'armée allemande pendant la dernière guerre, devenant partie intégrante du mur de l'Atlantique. La mort, la haine et la violence auront renforcé son aura déjà si sombre.
Quand je l'ai découvert à mon arrivée au Pays de Lorient, au début des années quatre-vingt, je lui trouvais un charme romantique et celtique à la Chateaubriand, vieux fort abandonné au milieu d'une lande rase battue par le vent d'ouest et les embruns. D'après ce qu'on m'a raconté, il servait surtout aux jeunes amoureux dans les années soixante, c'était un des rares endroits où ils pouvaient se cacher des parents. Beaucoup y ont laissé les souvenirs de leurs premiers flirts, les amours de jeunesse clandestines ayant fait fuir les fantômes sinistres des années noires.
Aujourd'hui, il est méconnaissable. Il a été entièrement rénové par l'actuel propriétaire, les murs sombres des deux corps de garde sont maintenant recouverts d'ocre jaune, face au soleil, beau contraste sur les dunes grises. L'espace enclos entre les murailles est tapissé d'une pimpante pelouse, le propriétaire fait pousser radis et salades dans deux jardins microscopiques et jumeaux, le long des deux bâtiments symétriques.
Les dunes alentour, ainsi que le marais, le loch, sont une zone protégée où poussent une orchidée, l'epictatis des marais, le raisin de mer, le géranium sanguin, l'immortelle des sables, le panicaud, et où on trouve une libellule rare, l'agrion de Mercure.
Tous les étés, une grande salle accueille des expositions de peinture exceptionnelles. L'exposition de l'été 2009 est consacrée au peintre Jean Couliou (1916-1995). Les cimaises sont accrochées dans un des deux bâtiments du corps de garde, sur deux étages en mezzanine. Dès l'entrée, on est nimbé par l'impression d'espace, on est enveloppé par un bain ouaté de lumière, celle qui vient des fenêtres au soleil d'ouest, et celle qui émane des tableaux. Sur cette grande toile, un marais salant : le peintre sculpte le noir pour capter chaque particule lumineuse, puis saupoudre cette matière noire de pépites de lumière. Il spiritualise la matière, exprime « l'or du temps » que cherche toujours André Breton, et qui émane aujourd'hui de l'esprit des vieux murs.

 
Le Fort du Loch, juillet 2009
Mireille Le Liboux
© Interventions à Haute Voix n°45, 2010.

samedi 6 mars 2010

Commentaire de l’Institut de géopoétique


Voici le message reçu du coordonnateur de L'Institut International de Géopoétique, fondé et présidé par Kenneth White :

Mireille n'en est pas à son coup d'essai ! Je vous conseille de lui demander son livre "L'empreinte des cygnes" qui aurait probablement gagné à être fragmenté tant la matière géopoétique y est riche et où elle tente, entre autres motivations, d'écrire la lumière qui passe… de peindre le passage, plutôt que l'être… en se situant dans la perspective de différentes îles (Île-aux- Moines, Houat, Houëdic, Ouessant…)


 

Tiens ! par exemple :


 

" Le paysage est


 

maritime

océanique

de sable et d'eau

vu de la rive, c'est une île.


 

Le paysage est…


 

Fragments liquides entre mes doigts, aquarelle diluée, traces effacées, le pays d'origine est illisible. Peut-on se fier au rocher, à la vague ? Aux montagnes figurées à l'horizon du couchant ?


 

L'hiver brille derrière la vitre, lance un appel


 

Cavalier blanc, poète guerrier, fourbi tes armes, prépare ton sac, il est temps d'ouvrir des chemins nouveaux, de sortir des sentiers douaniers. On voudra toujours te surveiller, te contrôler, te taxer à la frontière. Tiens-toi toujours à la lisière. Déguise-toi en homme ordinaire.


 

Voyage dans les forêts primaires et dans les roches du quaternaire, visite tous les états. Fie-toi aux impressions premières, ne néglige aucune trace, aucun signe.

Peut-être verras-tu parfois, par éclairs, se déchirer le voile.

Et puis, peut-être

de fragment en fragment

de signe en signe

tu sentiras comme une blancheur

se tisser

dans le silence de l'être."


 

C'est écrit sans fioritures… Avec une authenticité indéniable. Et cela me semble contribuer à l'augmentation de la méthode géopoétique. …Que chacun ajoute ainsi sa pierre à l'édifice au sein de l'e-group de l'Institut !


 

J'en ai parlé aux gens d'Ouessant…


 

FR, coordinateur de l'Institut International de géopoétique

dimanche 7 février 2010

Quelques notes de lectures : la Terre, l'Homme, le regard et la poésie


En lisant Kenneth White, je me suis interrogée longtemps sur ce qu'était la perception : où est l'objectivité, voit-on le réel ? Est-ce une projection des sentiments comme on le trouve souvent chez les Romantiques ? Qu'est-ce que le regard de l'artiste et sa traduction en oeuvre d'art ? Quel est le mouvement dialectique entre intériorité et extériorité ? Etc.

A force de me poser, et de poser la question, j'ai trouvé quelques réponses.

Je me souviens de la romancière Sylvie Germain, quand elle a reçu le Prix Goncourt des lycéens pour Magnus, leur expliquant : l'écrivain inspire le monde pour l'expirer par le souffle ; l'écriture n'est donc pas inspiration mais expiration.

Puis Alain Kervern, à qui j'avais écrit, orientaliste et spécialiste du haïku m'avait envoyé un extrait du livre qu'il était en train de traduire : Ce grand vide lumineux, du peintre Yasse Tabuchi (éd. la Part commune). J'y avais trouvé une réponse :


 

«  Le regard du peintre tourné vers l'extérieur possède derrière la rétine un autre regard tourné, lui, vers l'intérieur. le regard tourné vers l'extérieur observe d'emblée et le plus finement possible les formes et les couleurs qui surgissent et disparaissent avec le cours du temps. C'est un regard méfiant à l'égard des distorsions dues à la subjectivité. le regard tourné vers l'intérieur saisit l'aspect des objets qui disparaissent dans l'instant. Ces deux regards, contrairement aux apparences, ne constituent nullement une double structure de la vue. […]
Là où le sujet fait converger regards interne et externe, là est transcendée cette nature à double fond. » (p.62)


 

En ce moment, je lis Cinq méditations sur la beauté, de François Cheng (éd. Albin Michel). J'y retrouve cette réflexion très orientale sur le regard, la vision, le peintre et le poète, qui me paraît directement liée à la réflexion géopoétique.

L'idée de F. Cheng est qu'il faut à la fois - et agissant l'un sur l'autre : la beauté du monde, un regard regardant cette beauté, une transfiguration intérieure de cette vision, une restitution de cette vision transfigurée.


 

Morceaux choisis.

 

La nécessité du regard humain sur l'univers :

« L'homme n'est pas cet être en-dehors de tout, qui bâtit son château de sable sur une plage déserte. Il est issu de l'aventure de la vie ; sa capacité à tendre vers l'esprit, sa faculté de penser, d'élaborer des idées font partie de l'aventure de la vie. tout en ayant l'air d'être perdus au sein de l'univers, nous pouvons supposer aussi que nous sommes la conscience éveillée et le cœur battant de la matière. L'univers pense en nous autant que nous pensons en lui ; nous pouvons être le regard et la parole de l'univers vivant, du moins ses interlocuteurs » (p. 60)


 

Transfiguration :

« [La beauté] est transfiguration par la grâce de la rencontre d'une lumière intérieure et d'une autre lumière donnée là depuis toujours mais tant de fois obscurcie. Trans-figuration est à entendre ici comme ce qui se transforme de l'intérieur, et également comme ce qui transparaît dans l'espace de vie entre le fini et l'infini, entre le visible et l'invisible. » (p.70)


 

« Zhuangzi, un des « pères du taoïsme », au IVème siècle avant notre ère, fait remarquer « qu'entre Ciel et Terre il y a grande beauté », et que « la nature a le pouvoir de transformer le flétri et le pourri en merveilles ». Le zhen-ren, « l'homme véritable » qu'il propose, est celui qui, purifié de l'intérieur, est capable d'entrer en communion totale avec la sphère infinie de l'univers, en y affectant le shen-you ou « randonnée spirituelle ». (p.88)


 

Faire le vide pour voir ou « la voie du Chan » :

« [La démarche…] exige de regarder le monde objectif en face, non selon son apparence, mais comme à la racine, en sorte que l'objet naît et croît véritablement dans le for intérieur du sujet, et que par un retournement, le moi participe au devenir universel. Nous regardons les trois étapes du maître Quingdeng des Song : voir la montagne, ne plus voir la montagne, revoir la montagne. » (p. 93)


 

« Au sein de la Voie, la nature du Souffle et son rythme sont ternaires, en ce sens que le Souffle primordial se divisent en trois types de souffles qui agissent concomitamment : le souffle Yin, le souffle Yang et le souffle du vide médian. Entre le Yang, puissance active, et le Yin, douceur réceptive, le souffle du Vide médian – qui tire son pouvoir du Vide originel – a le don de les entraîner dans l'interaction positive, cela en vue d'une transformation mutuelle, bénéfique pour l'un et pour l'autre. » (p. 95)


 

« La beauté est un appel, au sens le plus concret du mot, et l'homme, cet être de langage, y répond de toute son âme. Tout se passe comme si l'univers, se pensant, attendait l'homme pour être dit » (p. 104)


 

Même si Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, comme le disait Stieg Dagermann, je trouve une certaine consolation dans ces appels vers la beauté du monde.