vendredi 28 décembre 2012

Poème d'Alain Jégou

Une meurtrière dans l'éternité, c'est le titre du dernier recueil de poèmes d'Alain Jégou, paru chez Gros textes.
Flèche en plein cœur reçue par cette meurtrière à la lecture du poème liminaire :

A chaque partance sa part d'insouciance
comme une évidence pour s'extraire
sans flottements ni remords
se libérer du fard et de l'apparence
pour s'accomplir en tout nudité
inspiré par l'impérieux besoin
d'errances, de quêtes et découvertes
la passion dévorante qui fait pousser les ailes
sourire l'univers et reculer la mort

                                               Alain Jégou

C'est exactement ce que j'aurais voulu dire. Merci Alain !

samedi 15 décembre 2012

Poème de Guillevic, pour qui se reconnaîtra

Ce n'est pas 
En t'accrochant
A plus de choses,

En les parcourant,
En les écoutant toutes
Que tu t'éprouveras.

Une seule chose parfois
Peut suffire

Si tu lui donnes
Assez de ton temps
Pour communier.


Guillevic, "Hôtes de la lumières" in Possibles futurs, 1994

Poème d'hiver



Collage Ghislaine Lejard





La pleine lune
éclaire la première gelée
sur l’étang
et mes nouveaux
cheveux blancs.


                                                                                                             Mireille Le Liboux

mardi 11 décembre 2012

La poésie par André Hardellet

Les deux sourds. Le premier dit : "La poésie est, comme la droite, le plus court chemin pour aller de l'idée à l'expression." Le second répond : "Parfaitement, la poésie est le plus long chemin à prendre pour aller de ce que je veux dire à ce que je dirai - si j'ai assez de patience."

                                                    La Cité Montgol. André Hardellet

vendredi 7 décembre 2012

Quelques clés pour mes titres

Voici une petite exégèse de ce qui a motivé le choix des titres de mes ouvrages.

L'Empreinte des cygnes a été motivé par la lecture de Les Cygnes sauvages de Kenneth White et L'Empire des signes de Roland Barthes. Ce livre est conçu comme un "livre du chemin" ou "waybook".

Rendez-vous à Skye, c'est bien sûr l'île de Skye où j'avais effectivement un rendez-vous avec un poète gaélique. J'ai aussi joué avec Lucy in the Sky with diamonds (lumière dans le ciel avec diamants), à la fois en parodiant le New Age, et plus sérieusement en utilisant le symbole du bouddhisme tantrique du diamant. J'ai emprunté (l'empreinte !) ceci encore à Kenneth White dans son recueil Terre de diamant. Il explique son titre en note, je ne résiste pas au plaisir de recopier sa conclusion :
"Enfin, s'il est bon d'avoir ces notions à l'esprit quand on parcourt le livre, il ne faut pas les avoir trop à l'esprit, et si je donne cette lecture "ésotérique" (initiatique) du titre, cela ne doit rien enlever à la sensation directe des réalités brutes rencontrées. Si tu t'attaches au phénomène (la terre), tu es dupe, si tu t'attaches au vide (le diamant), tu attrapes la maladie religieuse. Si tu t'attaches à la poésie, tu ne comprends rien, si tu t'attaches à la sagesse, elle se dessèche." (Publié dans "Les cahiers rouges", Grasset)

La Consolation des pierres : clin d’œil à Jean-Luc Coatalem (La Consolation des voyages), à Stieg Dagerman (Notre besoin de consolation est impossible à rassasier) et les pierres, la terre, les étoiles, sont vraiment consolantes en nous permettant de nous sentir relié à l'univers.

Au pays où les chats font du yoga est explicité par la photo de couverture, le chat en méditation dans la grande fresque sculptée de Mahabalipuram. Ce livre contient aussi un poème tantrique (union des forces masculines et féminines), récompensé d'un prix lors d'un concours des éditions du Bord du Lot.

Retour de Chandigarh. Impressions indiennes (en cours d'édition chez Edilivre). Le titre est explicité dans le prologue : référence à Loin de Chandigarh de Tarun Tejpal et Chandigarh a vraiment été la dernière étape de mon voyage en Inde de 2012.



jeudi 6 décembre 2012

La vie et le pissenlit

Souris encore 
Au pissenlit.





Lui aussi vieillit
Et se le pardonne
Et ne cède pas.

 
Il continue à se tendre
Vers l'horizon et l'entre-deux.
Tu vois :
Il se souvient de toi,
Il te sait complice,
Il s'associe 
                                      A ton besoin de vivre.


                                                                                                                       Maintenant. Guillevic
                                                                                                                       Photos M. Le Liboux

samedi 1 décembre 2012

Sur un collage de Ghislaine Lejard


Collage Ghislaine Lejard


Du feu sur la glace

il suffirait de presque rien
une cicatrice sur la périphrase du temps
un accent aigu
un souffle froid venu du nord
une phrase
dans l’arithmétique bleue d’un compte à rebours
mémoire arraisonnée d’une aube
sur l’autre versant de la vie
des cascades arcs-en-ciel
une main d’algue en sinusoïde
et retrouver le point focal
ni avant ni après
maintenant.

                                                                                                                                     Mireille Le Liboux

jeudi 15 novembre 2012

Nouvelle : la scène du puits de Lascaux



Nouvelle écrite sur le thème imposé du rêve en 2012 par le salon du livre de Riantec et qui n'a rien gagné, mais l'important est d'avoir eu du plaisir à l'écrire. Comme dit le sage, ce qui compte est d'être en chemin, pas d'arriver au but.

***

Le sanctuaire des rêves ou le mystère de la "scène du puits"

 "Les travaux et les jours nous étaient offerts, nous avons choisi les travaux." Ralph Waldo Emerson.

 
Nous vivions là depuis plusieurs générations. Après de longues errances, nos ancêtres avaient enfin trouvé le lieu idéal et s’y étaient établis. La rivière encaissée nous prodiguait l’eau pure à volonté et dès que fondait la glace, les poissons abondaient. Les hautes falaises étaient creusées de nombreux abris naturels bien situés. Dans la forêt touffue nous ramassions le bois pour nous chauffer et cuire les aliments rapportés de nos cueillettes et de nos chasses.
À flanc de falaise, les parois de pierre de la grotte souterraine étaient devenues notre livre de mémoire. C’était là que nous inscrivions notre savoir du monde : la vie et la mort, la naissance, l’enfance, la vieillesse. Les juments gravides annonçaient le printemps, nous l’avions appris au fil du temps. C’est pourquoi nos artistes ont peint, en suivant les cycles des saisons, comme une grande horloge cosmique, les chevaux du printemps, les cerfs de l’automne puis les aurochs de l’hiver. Ils dessinaient sur les parois les animaux sacrés, les esprits de la Terre. Les femmes elles aussi étaient sacrées, car elles donnaient la vie, insufflée en elles par les esprits, perpétuant ainsi notre nouvelle race d’Hommes.
Moi qui vous parle du temps où je vivais sur cette terre dans la force de ma jeunesse, j’avais la mission sacrée de chasser le Renne quand la nourriture venait à manquer. Vos sorciers, les archéologues, ne cessent d’interroger cette peinture qu’ils ont trouvée dans le puits, au fond de notre sanctuaire. Il est temps que je vous apprenne ce qui s’est passé cette nuit-là. Quand je dis « je vous parle », ce n’est pas la vérité, je vous transmets ma pensée que vous traduisez, sans vous en rendre compte, par vos propres mots, dans un rêve éveillé.

C’était l’hiver, on ne pouvait plus pêcher dans la rivière gelée, les petits animaux de la forêt avaient disparu, nos enfants avaient faim. Notre grand Sage, celui que vous nommez Shaman, avait étudié la lune et les présages, le moment était venu. Selon la coutume, je me suis retiré pendant sept jours et sept nuits dans l’abri isolé loin du village, pour communier avec l’esprit de mon animal-totem, celui qui allait m’habiter, m’insuffler son courage et son énergie virile. J’avais fabriqué mes javelots et mes pointes de sagaies. Le Shaman était la seule personne qui avait le droit de me visiter, il avait béni mes armes selon le rituel et m’avait donné à boire la décoction de plantes qui fait venir le Grand Esprit.
Cette nuit-là, j’ai eu une vision de mort qui m’a glacé les os. J’ai d’abord vu le bâton surmonté du Grand Tétra, emblème de notre Shaman. Puis est apparu mon animal-esprit, le Bison, transpercé de haut en bas par un javelot. De son ventre béant pendaient ses entrailles comme un sexe monstrueux ; le bison blessé ne me regardait plus, mais tournait la tête, et fixait, étonné, la masse gluante qui coulait de son ventre, comme viennent les petits au monde. Puis le masque du Grand Tétra a recouvert ma tête, je suis devenu l’oiseau et me suis senti aspiré vers le ciel, mon corps devenant léger et fin comme une de ses plumes. Mon sexe était dressé, dirigé vers le Bison, comme si c’était la pointe de mon javelot.
Mon rêve était-il un mauvais présage ? J’étais inquiet car je devais partir le lendemain, seul, dans la forêt profonde. Le Shaman avait le pouvoir d’interpréter mon rêve. Il fallait que je le voie. Lors de sa visite quotidienne, je lui ai décrit ma vision de la nuit. Il a consulté les oracles et donné la réponse :
« Sois sans crainte. L’esprit du Bison t’a choisi pour t’avertir, et transmettre la connaissance à tous ceux de notre race, les Hommes. Le cycle de la vie est sacré. Le Renne est là pour nourrir les Hommes et permettre aux femmes d’enfanter de générations en générations. Mais il n’appartient pas aux Hommes de détruire la vie hors de cette nécessité sous peine de grands malheurs. Tu vas partir en chasse pour le bien de notre tribu mais tu dois faire bien attention. Tu ne dois tuer qu’un grand mâle adulte ayant déjà procréé, tu le reconnaîtras à la hauteur de ses bois. Surtout, laisse la vie sauve aux femelles, elles vont mettre bas au printemps. À cette condition, ta vie sera préservée et il en sera de même maintenant et à jamais : l’Homme, comme les autres animaux, ne doit prélever chez notre mère la Nature, que le strict nécessaire à la perpétuation de notre espèce. L’oracle dit aussi que ce message doit être transmis aux générations futures et pour cela doit être inscrit dans un endroit secret et protégé. Nous devons aller inscrire ton rêve sur la paroi du puits, au fond de notre sanctuaire, pour le futur de l’Humanité. »
Alors, nous avons pris nos lampes à graisse, (je n’ai pas oublié la plus belle, celle que j’ai taillée dans un œuf de grès rose trouvé au bord de la rivière), et nous sommes partis dans la grotte aux peintures. Après avoir traversé la grande salle où sont peints les taureaux, nous avons suivi le passage jusqu’au puits, le lieu de nos secrets les mieux gardés. Dans la chaleur de l’été, on ne peut y rester, vous dites que c’est à cause du gaz qui s'en dégage. Heureusement, c’était l’hiver, et même si nos lampes devaient être rallumées souvent, et si nous devions régulièrement grimper notre échelle de corde végétale pour respirer en haut du puits, nous avons eu le temps d’inscrire mon rêve sur la paroi.
Nous avons préparé les pigments dilués dans l’eau. J’ai laissé à notre grand Sage, comme c’est l’usage, le travail au pinceau. Il a d’abord peint son emblème, le bâton au Grand Tétra, puis la tête et les entrailles pendantes du Bison, le haut de mon corps de rêveur, le masque d’oiseau posé sur les épaules. Pour vous aider, vous des siècles futurs, à lire la Scène du puits, il a tracé des flèches à suivre du regard : la lance qui traverse le Bison de la droite vers le bas, une sagaie en bas montre l’oiseau, puis l’envol du rêveur, pointé par ses bras formant une flèche montrant le haut du puits.
Puis ce fut à mon tour. J’ai empli ma bouche de pigments dilués, puis je les ai projetés doucement pour former la crinière et les pattes du Bison. J’ai terminé par deux longs traits figurant les jambes du rêveur homme-oiseau, deux traits en pointes de sagaie pour les pieds dirigés vers le Bison et un trait identique et parallèle pour le sexe, force virile du chasseur. C’est ainsi que les hommes rêvent. Je n’ai pas oublié de déposer une sagaie et ma lampe rose au fond du puits, en même temps que mon rêve. À la chasse le lendemain, le Grand Esprit serait avec moi.

Cela s’est passé il y a bientôt vingt mille ans. D’où je suis aujourd’hui, je vous vois, vous les sorciers du monde moderne, vous perdre en conjectures sur les peintures de Lascaux,  le nom que vous donnez à notre grotte des rêves. Votre cupidité a bien failli faire disparaître à tout jamais la mémoire de l’humanité que nous vous avons laissée en dépôt. Heureusement, vous l’avez sauvée de justesse.
Ce que nous avions à vous dire était simple : respectez la nature, les Hommes en font partie, blesser la Terre-Mère, c’est se condamner à disparaître. Je vous le dis, mes frères lointains, vous êtes en grand danger car c’est plus fort que vous, vous ne savez qu’exploiter et détruire le monde qui vous est offert. Du haut du ciel, je vois poindre la fin de notre race. Cela commence avec la mort des abeilles. La vôtre suivra. Quand vous mourrez, vous, la race des Hommes, je mourrai avec vous, moi qui étais l’un des premiers de notre lignée. Mais la mort fait partie de la vie, celle des individus comme celle des espèces. Alors inutile de pleurer.
Ma consolation est l’espoir que nous donnerons naissance à d’autres étoiles et à des mondes meilleurs.

lundi 12 novembre 2012

Collage Ghislaine Lejard










Dans le silence bleu
de l’aube d’hiver
l’appel d’un corbeau
aspire le jour.

Mireille Le Liboux