samedi 18 mai 2013

"Quitter le monde" de Douglas Kennedy

C'est le premier livre de Douglas Kennedy que je lis et quelle découverte ! Un choc littéraire, philosophique, émotionnel, tel que je n'en avais pas eu depuis longtemps. Du haut niveau littéraire et une sensibilité extrême : on se dit que l'auteur a dû vivre certaines de ces douleurs émotionnelles. D'autant plus bouleversant qu'on s'y reconnaît forcément d'une manière ou d'une autre. Le livre se termine en thriller haletant, l'auteur mêle les genres... 
Il y est question de littérature, de musique, des milieux financiers, de la misère,... je n'en dirai pas plus, on peut trouver des commentaires partout et l'auteur a un site en français.

Ayant eu l'occasion d'évoquer récemment la discussion entre Einstein et Niels Bohr sur la notion de hasard, j'ai trouvé étrange la coïncidence : le livre s'ouvre sur cette discussion, et se clôt sur elle, la physique quantique et l'éternel débat sur cette notion de hasard étant le fil conducteur du roman, et de nos vies, selon Douglas Kennedy, sentiment que je partage complètement (le mot "hasard" vient de l'arabe et désignait le jeu de dés, j'ai déjà mis un texte sur ce blog en citant Mahmoud Darwich). Cette notion de physique est désignée ici par l'expression "principe d'incertitude".
Extraits :

"Comme j'en avais oublié les détails, j'ai entrepris de naviguer sur Google - à quatre heures du matin - pour me rafraîchir la mémoire. j'ai trouvé la définition suivante : "En physique des particules, le principe d'incertitude ou d'indétermination stipule qu'il est impossible de connaître simultanément la position et l'énergie d'une particule, car le seul fait de les mesurer modifie le système donné." Très théorique tout ça... Un peu plus tard, j'ai découvert qu'Einstein détestait ce présupposé, affirmant au contraire que "nous pouvons connaître la position d'une particule grâce à toutes ses caractéristiques, et à partir de là prévoir où elle va aller". De manière assez péremptoire, il a aussi affirmé que le principe d'Heisenberg allait à l'encontre d'un certain empirisme divin en proclamant qu'il ne "pouvait pas croire que Dieu aurait joué aux dés avec l'univers".
Heisenberg et son collaborateur danois, Niels Bohr, le père de la physique quantique, avaient répliqué à Einstein qu'il était "impossible de déterminer où une particule en mouvement reçoit ses caractéristiques, et donc de prévoir où elle va aller". Sarcastique, Bohr avait répondu : "Ne dites pas à Dieu ce qu'il a à faire, Einstein !"
Ceci est dit en ouverture du roman, page 18, par le personnage principal, Jane, docteure en littérature et est repris par le même personnage en dernière page (p.492) en citant à nouveau Heisenberg : "Le ciel est bleu et les oiseaux y volent", la poétique du monde étant ainsi vécue comme une rédemption par la narratrice, et donc par l'auteur, cela semble évident.

mardi 7 mai 2013

A Alain Jégou, in memorian

Un ami poète, Alain Jégou nous a quittés. Il restera toujours présent dans mon coeur par sa poésie et sa sensibilité. Je lui dois les pages suivantes publiées en 2009 dans L'Empreinte des cygnes :


"Je viens de lire un poète d’ici, de la région lorientaise. Alain Jégou, poète et marin-pêcheur. La Bretagne est riche en fortes personnalités, rebelles et créatives. J’ai lu son « carnet de bord », qui porte le nom de son bateau Ikaria LO686070. Ces courts textes en prose poétique, simple et forte m’ont rappelé les navigations que j’ai faites en Bretagne et en mer Celtique, entre l’Irlande et les îles Scilly.

En voici un extrait :



Korn Loc’h

Les ciels chaque jour diffèrent, mais demeurent toujours imperturbables, impitoyables, indifférents à tout ce qui peut salement vous fendre l’émotion, à tout événement tragique survenant en l’espace rase-mottes qu’ils dominent de leur glaciale arrogance. Sur mer, plus encore que sur terre où certains obstacles naturels leur patafiolent le masque, ils imposent leur loi et détiennent tous pouvoirs sur les éléments qu’ils manipulent et font déchaîner à leur guise.



Assise sur un rocher, au ras des vagues, j’ai laissé émerger, en résonance, les deux textes suivants :




Lire les mots

suivre la trace

dans les turbulences ouatées

calligraphies de la nuit

encre de Chine

nuit jazzy



suivre la trace

approfondir le rêve

fuir la médiocrité

vie de terrien



vent de nordet

dans les Coureaux

filet à l’eau

mains glacées

engelures

sur le pont frétillements

dans quelques heures la criée



vent de suroît

houle traversière,

le bateau se déhanche

gonzesse

rêve

le cœur à la lame

trop amoureuse

épousailles marines



dans le sillage

filet à l’eau

fil invisible

cap vers l’errance

chercher le fil de la vie

tisser les mots

journal de bord

suivre la trace.



*




Mots enfouis dans les grands fonds

les chercher un à un

souffle à souffle

les sortir de la nuit marine

cailloux informes à fracasser.

les mettre au soleil

encore luisants

casser la gangue

s’immiscer dans la fêlure

et regarder tout étonné.



certains vont s’éteindre au soleil

fleurs desséchées

d’autres s’épanouir

étoiles de mer



que faire

de ces mots hétéroclites

fragments inaudibles

les assembler

trouver les intervalles

les tricoter

maille après maille

comme un cap-hornier.



continuer

espérer

jour après jour

souffle après souffle

enfin remonter

dans le trémail

la perle d’espoir."



Mireille Le Liboux. L’empreinte des cygnes. Chemins bleus, 2009.