vendredi 27 avril 2012

Poème publié par la revue Interventions à Haute voix



Vient de paraître dans le numéro 49 de la revue de poésie Interventions à Haute Voix, thème "Hasards / Rencontres." Prix 12 €. Vente et renseignements chez le directeur de publication: Gérard Faucheux : gerard.faucheux@numericable.fr

Conditionnel

« J'aurais pu ne pas exister
mon père aurait pu
ne pas épouser ma mère
j'aurais pu connaître le sort de ma ma s?ur
qui poussa un cri puis mourut
sans se rendre compte
qu'elle n'était née qu'une heure
et qu'elle n'avait pas connu ma mère.»

                               Mahmoud Darwich. Le lanceur de dés.

Hasard : emprunté à l'arabe az-zahr, dé ou jeu de dés.
                                                              Dictionnaire Robert




Quand j'ai lu
- par hasard -
ce poème de Mahmoud Darwich
j'ai vu des étoiles dans ma tête :
c'était un peu mon histoire.

Pour un peu
ma mère n'aurait pas
rencontré mon père
et de ce couple désaccordé
ne seraient pas venues
des jumelles premières nées.

Pour un peu
moi aussi j'aurais pu
à peine âgée de huit mois
respirer juste une fois
puis disparaître
comme une comète
sans avoir eu
le temps de connaître
le sourire de la fleur.

Pour un peu
j'aurais pu
naître en Chine ou en Inde
anywhere en France ou ailleurs
ou dans une famille
aimant le bonheur.
Et plus tard
j'aurais pu mourir cent fois
il s'en est fallu de peu parfois.

Pour un peu
je ne serais pas là
en train d'écrire ces mots-là.
Ça aurait changé quoi ?
Si peu : juste un coup de dé
par distraction
comme un battement d'aile
de papillon.


Mireille Le Liboux

jeudi 12 avril 2012

Note de lecture de Pierre Tanguy


(Pierre Tanguy est poète et a été journaliste à Ouest-France Rennes. Il continue à écrire des chroniques concernant la poésie.)

Mireille Le Liboux et sa « géopoétique »


   
     Elle vit dans le pays de Lorient, voyage dans sa tête, mais aussi sur le littoral morbihannais ou dans les îles bretonnes. « La figure du dehors »  - pour reprendre le titre d’un essai de Kenneth White - c’est l’affaire de Mireille Le Liboux.
     Dans son nouveau recueil, elle nous parle des pierres, aussi bien des pierres dressées par les hommes préhistoriques que des pierres glanées sur la côte (« Au fond de ma poche/voyage avec moi/le petit galet rose »). Elle trouve auprès de ces pierres – plus qu’auprès des humains – une forme de consolation. Mireille Le Liboux partage leur destinée au point d’écrire : « Quand mon corps aura fini son usage/rendez-moi à la terre/pour accompagner la pierre/dans sa danse d’éternité ».

     L’auteure morbihannaise se rattache à cette veine d’écriture qualifiée par Kenneth White de « géopoétique ». Dans un précédent ouvrage, « L’empreinte des cygnes » (mêlant prose et poésie, un peu à la manière du haïbun japonais), elle nous faisait pénétrer dans son univers, « comme s’il fallait retrouver un fil de vie qui n’aurait pas de limite dans le temps, depuis la préhistoire ou plus loin, le fil perdu de la présence au monde ». Et elle confiait : « J’ai la sensation que c’est là qu’il faut creuser ».

     Nous voici donc, sur ses pas, à Groix, Houat, Ouessant, et dans tous ces territoires d’Extrême-Occident. « La terre crie sa souffrance, note-t-elle, ici le silence permet de l’entendre ». Mais le poète est là, aussi, pour « s’étonner du bourdonnement des insectes au printemps, de l’abondance des huîtres sauvages ». Nous voici, également, de plain-pied, dans les textes de ses auteurs de chevet : Tchouang-Tseu, Sôseki, Bashô, Li Po… (que Mireille Le Liboux cite au fil des pages). Car de l’Extrême-Occident  à l’Extrême-Orient, il n’y a qu’un pas. C’est la littérature qui le lui fait franchir, au nom de la « fraternité des adeptes du monde ouvert ».
                                           
                                                                                           Pierre TANGUY.

La consolation des pierres, Mireille Le Liboux, Bleu de mer, 2012, 40 pages, 8 euros.
L’empreinte des cygnes, Mireille Le Liboux, Les Chemins bleus, 2008 (réédition 2009), 156 pages, 15 euros.

mardi 3 avril 2012

Newsring lance un débat sur les langues régionales


 J'ai été sollicitée pour participer au débat sur
La question posée : "Passéistes, les langues régionales ?"


Voici la contribution que j'ai proposée :


« Passéistes, les langues régionales ? », demandez-vous ?

On pourrait alors demander : passéiste, la (bio)diversité ? Qui oserait répondre oui ? Du ministère de l’Écologie qui explique que la race humaine fait partie de la biodiversité à Jean-Marie Pelt qui insiste sur la nécessaire diversité des langues au même titre que celle des plantes, il semble y avoir un consensus, au moins affiché. Alors, pourquoi cette obstination, obsession, exception françaises, à faire un problème, là où dans la majorité des pays sur la planète, à part quelques dictatures, il n’y a pas de problème ? Quelle peur irrationnelle est sous-jacente ? Marianne serait-elle si fragile qu’elle se démembrerait si le multilinguisme avait cours sur son territoire ?
Que les rois de France aient voulu unifier le royaume, que François 1er ait voulu faire du français la langue officielle en 1539 par l’arrêté de Villers-Cotterêts, cela avait du sens à l’époque. La langue orale, le roman, se développait depuis le douzième siècle, en devenant la langue écrite des premiers romanciers écrivant de manière personnelle les récits de la « matière de Bretagne ». Le latin était dépassé, il fallait être moderne.

Mais aujourd’hui ?
La langue française n’est pas contestée en France.
Quel danger pourrait représenter la reconnaissance d’autres langues en parallèle ? Avoir deux langues, est-ce une richesse ou un problème ? Être riche de plusieurs cultures, en quoi cela menacerait-il la République Une et Indivisible ?
Si l’identité française de définit comme une masse indifférenciée d’individus identiques, on est tombé bien bas. Il est vrai que la culture en France est très menacée par les temps qui courent (je viens de recevoir une pétition à signer émanant de théâtres nationaux, c’est dire !). J’ai même la nette impression qu’il y a une volonté politique non plus de former des citoyens autonomes ayant les outils de la comparaison et donc de la réflexion, mais de formater la population à une « pensée » (qui n’en est plus une) unique, réalisant ainsi la crainte exprimée par Claude Lévi-Strauss en 1955 dans Tristes tropiques : « L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation de masse, comme la betterave. son ordinaire ne comportera plus que ce plat. » On en est là.

Alors, en quoi développer les langues minoritaires est-il moderniste ?
D’abord, on l’aura compris, pour sauvegarder ce qui reste de diversité.
Car tous les linguistes s’accordent à dire qu’une langue exprime une vision du monde, un mode de pensée et de perception, et que pouvoir comparer ces perceptions est une richesse pour le patrimoine mondial. Alors qu’en français, on a un mot pour définir la couleur de la neige (c’est bien limité pour les poètes ! ), en inuit, on a une centaine de manières de la décrire, toute une palette de nuances.
De même en breton, on a un adjectif intraduisible pour définir la couleur de l’océan, « glaz », qui peut vouloir dire bleu ou vert, mais il existe un autre mot pour le vert de l’herbe, c’est donc juste la couleur de l’Atlantique, celle qui a attiré et attire encore tant de peintres.

Bilinguisme précoce.
Ensuite, il est prouvé par les nombreuses études réalisées en psycholinguistique que le bilinguisme précoce chez les enfants favorise l’apprentissage ultérieur d’autres langues et développe de manière plus générale les capacités d’abstraction.

Je reviens d’un voyage en Inde.
Pour peu qu’ils aient eu accès aux études, beaucoup d’Indiens parlent au moins trois langues : celle de leur état, par exemple le penjabi ou le tamoul, l’hindi parlé par 20 % de la population, l’anglais, évidemment.
Et j’ai constaté un engouement pour le français que la France n’honore pas, puisque les centres culturels français et les Alliances Françaises sont exsangues. Que ce soit à Chandigarh ou à Puducherry, où de nombreux jeunes indiens vont apprendre le français, les droits d’inscriptions ont dû être augmentés, limitant ainsi de manière drastique l’accès à la francophonie. C’est poignant ! J’ai été très sollicitée pour donner des cours de français, avis aux amateurs !
Donc, non seulement la France se ferme aux richesses dont elle a la chance de disposer sur son propre territoire, mais le français devient une langue ultra-minoritaire dans le monde, alors qu’il jouit encore, pour l’instant, d’un certain prestige et représente, dans l’exemple des Indiens, une ouverture au monde.
Triste image d’un pays qui se recroqueville sur lui-même, au risque de la nécrose.

Poésie

Pour terminer poétiquement, voici un texte d’une poète et amie écossaise, qui écrit, certe,s en anglais, mais aussi en shetlandais, de l’île dont elle est originaire. Il s’agit de Christine De Luca, le titre du recueil est Mondes parallèles (ce qui est un hommage au multilinguisme). La traduction en français est de Jean-Paul Blot et le recueil a obtenu le prix du livre insulaire d’Ouessant en 2007 (édition fédérop).

Sam but different / Semblables mais différents


Ayant, dès le départ, plus d’une façon de parler,
de comprendre les choses, nous apprenons à ajuster
ce que nous disons à ce qu’on attend de nous. Plaignez ceux
qui sont nés dans une seule langue, ceux qui n’ont jamais goûté
ne serait-ce qu’un plat d’autres tables.
Élevés dans deux langues c’est inconsciemment
partager un festin : deux manières de penser.
L’une enrichit l’autre, peut nous révéler un autre monde,
que tous les mondes cependant
sont tout simplement semblables mais différents.

© Christine de Luca, éditions fédérop

Mireille Le Liboux
Professeur de lettres retraitée
Membre de l’Association des Ecrivains Bretons.