vendredi 30 décembre 2011

"Encore heureux qu'on va vers l'été"


Je n'ai jamais oublié ce titre de Christiane Rochefort. Bonne nouvelle, les jours rallongent.

Dans le noir de décembre
le pin s’entête
à diffracter la mémoire du soleil.

                               

mercredi 28 décembre 2011

Poème d'hiver


Comme un arbre en hiver
aveugle au ciel
ma tête est de glace
absent au monde, je ne suis plus des vôtres
vous ne voyez que mon fantôme
je suis du pays des solitudes profondes
du pays de neige inconnu.
Seules mes racines dans le noir de la terre
puisent le feu dans les failles.

                                                            Mireille Le Liboux

dimanche 25 décembre 2011

Le peintre du vide bleu


Le peintre du vide bleu

Sous la dynastie des Song, il avait consacré sa vie à peindre l’infini des paysages. L’âge venant, il s’était réfugié dans un ermitage, là-haut, sur la Montagne froide, à la recherche du bleu parfait, ce bleu de terre et de mer, bleu d’orient et d’occident, bleu profond de l’univers.
Tous les jours, le vieux peintre chinois recommençait et jamais il n’était satisfait. Il arrivait à peindre le bleu changeant du ciel, le bleu pur du lac en contrebas, le bleu des fleurs de la montagne, le bleu de l’hiver, celui de l’été, mais il n’avait pas encore trouvé le bleu immobile, le bleu absolu de l’arrière-monde.
Plus ses forces déclinaient, plus il peignait, il ne voulait pas finir son voyage sur cette terre sans avoir réussi l’œuvre pure et définitive de toute sa vie, ce paysage bleu entr’aperçu derrière les yeux.

Ce soir, il est dans sa centième année, il sent qu’il arrive au bout du chemin.
Mais il est heureux car enfin, il contemple le paysage bleu sur son rouleau de soie, d’un bleu profond comme le ciel nocturne, avec ses nuances de lumière noire que seul perçoit celui qui sait voir.
Le vieux peintre a réussi son œuvre, la dernière, l’Unique.
Alors, d’un souffle léger, il effleure le bleu une ombre blanche à peine visible, comme un léger nuage ou un reflet de lune.
Puis il nettoie soigneusement ses pinceaux, les range avec ses couleurs dans son coffre de cèdre bleu et sort dans la nuit froide avec son rouleau de soie.
Il le déroule sur le seuil sous la lune blanche.
Le rayon de lune pénètre l’ombre blanche du tableau, ouvrant une fissure dans l’infini du bleu. Alors, le sourire aux lèvres, le vieux peintre s’allonge sur le tableau, le visage tourné vers le reflet de lune.

Au matin, un voyageur a trouvé le tableau devant la cabane, le coffre de cèdre contenant les pinceaux, mais la cabane était vide. Personne.
On a entendu dire que le vieil ermite s’était fondu dans son tableau, qu’il était parti dans l’infini du vide bleu.
Mystère.

                                                                                                                                     Mireille Le Liboux

lundi 19 décembre 2011

Cargo échoué sur les dunes entre Etel et Erdeven


 Lors de la grande bataille contre les projets du cimentier qui voulait extraire le sable entre Groix et la côte, j'avais écrit le texte suivant en hommage aux "Peuple des dunes", l'association qui s'est battue victorieusement.
En réactualisant les circonstances, l'indignation est malheureusement toujours nécessaire en ce nouveau Noël noir.


Ils se sont nommés « Le peuple des dunes »
ils veulent défendre leurs arpents de sable
contre la convoitise  du cimentier avide
qui veut prélever six cent mille tonnes par an
de sable marin pendant trente ans
entre Quiberon et Gâvres
Belle-Ile et Groix.

Le peuple des dunes
habitants
pêcheurs
écologistes
surfeurs
navigateurs
chanteurs
marcheurs
citoyens
unis pour maintenir le cercle des dunes.

Géométrie des dunes
convexité des Sables blancs à Groix
concavité du trait de côte vers la presqu’île
harmonie d’une rive à l’autre
ligne de dunes
ligne de vie.

Sable des dunes
falaises friables
abri fragile
préservé à grands efforts
oyats
liseron
chiendent des sables
graminées et ganivelles
protègent le nid
de l’alouette inquiète.

Quand ils creuseront leur fosse commune
ils y jetteront pêle-mêle
le plancton mort
les caseyeurs et les dormeurs
les ostréiculteurs
les mouettes rieuses
les amoureux
heureux du printemps dans les dunes
les promeneurs
les glaneurs
les cavaliers galopant à ras d’écume
les enfants constructeurs
de châteaux en Espagne.

Ils y jetteront
dom Quichotte et tous les poètes de l’arc-en-ciel
tous les mangeurs de lune
tout le peuple des dunes
et couleront leur béton
avec le sable de la fosse.

Quand il n’y aura plus ni dune ni plage
ils bétonneront la côte
puis ils bétonneront la plaine
tout le pays

toute vie
sera enfouie
puis ils bétonneront la planète
et quand ce sera fini
ils bétonneront la lune
qui les embête
à cause des poètes.

Quand ils auront éteint la lune
ils iront bétonner Mars
et ils mourront
dans leur bloc de béton.

© Mireille Le Liboux, L’Empreinte des cygnes.