lundi 23 novembre 2009

La lettre de Jean-Michel Guénassia aux lycéens (où il est aussi question de liberté...)



Editions Albin Michel





A toutes les lycéennes et à tous les lycéens

qui ont participé à la 22ème édition du Prix Goncourt des Lycéens









Ca a été une très belle aventure. Depuis le début. L'annonce que le roman était retenu dans la liste du Goncourt et puis, la tournée. Des rencontres avec des lycéens dans toute la France ! Quelque chose d'un peu mystérieux et énigmatique. Que va t-il se passer ? Va t-on être lâché dans la cage aux fauves ? On n'est pas très rassuré. Mais avant, il y a la rencontre avec les autres auteurs parce que nous ne nous connaissons pas ou peu ou mal, que nous avons, finalement, peu d'occasions de nous croiser, pris que nous sommes entre nos métiers, nos vies et l'écriture. Cette année, je me suis fait quelques amis. Ce n'est pas si fréquent. C'est même rare de nos jours. Maintenant, on se téléphone, on s'envoie des courriels et on se promet de se voir. Ensuite la rencontre avec les libraires des Fnac, sans qui rien ne serait possible. Qui se coupent en quatre, qui ne comptent ni leurs heures ni leur enthousiasme, ni leur plaisir et avec qui on parlerait des journées entières. Comme avec les professeurs. Il faut être un peu fou pour faire ce qu'ils font. Comme s'ils n'avaient pas assez de boulot avec les cours à préparer, les copies à corriger, les réunions et le reste. Non, il faut qu'ils lisent et fassent lire quatorze livres ! Qu'ils donnent encore un peu plus de force, de passion et de leur infinie patience. Et puis voila, le moment arrive de rentrer sur la piste. Un peu comme au cirque. On se retrouve face à quelques centaines de visages inconnus, aussi sur leurs gardes que nous. Beaucoup sont attentifs, ont préparé des feuilles avec des listes de questions (Mon dieu, est-ce que je vais savoir répondre ?), d'autres rigolent, roupillent ou se bécotent. Certains ont lu deux ou trois livres, d'autres plus. Ils devront lire en un temps record. Je ne sais pas comment ils vont faire. Je lis lentement. Et puis les questions commencent. Ca ne se passe pas si mal. Elles sont précises, drôles, pointues. Très vite, on oublie qui on est, qui vous êtes et on se parle. Comme des amis. Sans arrière-pensée. Toutes les réunions ont été trop courtes, on a tant de choses à se dire.



Je conserverai toute ma vie un souvenir extraordinaire de ces rencontres avec vous parce qu'à chaque réunion, il y a eu un moment exceptionnel, avec un auteur qui va chercher une réponse au fond de son coeur et, à ce moment-là, ça a été merveilleux. Je me souviendrai toujours d'Eric Fottorino et de Justine Lévy à Reims trouvant des mots d'une extraordinaire simplicité et d'une clarté bouleversante pour nous parler de leurs émotions et de leurs vécus (à ce moment, ils m'ont donné envie de lire leurs livres) ; de Sorj Chalandon à Nantes, soulevant la salle par son enthousiasme et à sa passion communicative et de Daniel Cordier à Paris, racontant son itinéraire et son évolution dans un silence de cathédrale puis les lycéens et la salle entière faisant une ovation debout à ce grand monsieur.

De mon côté, cela faisait longtemps, je ne me rappelle plus quand exactement, que je n'avais pas eu la chair de poule. Je ne suis pas près de l'oublier. Quand j'ai reçu un appel sur mon portable et que j'ai entendu la clameur à l'énoncé du prix. J'ai eu un grand frisson. Et une bouffée de chaleur. Je devais être rouge. La même émotion que Michel face à Camille. Merci à vous tous pour cette belle émotion, qui un court instant, m'a ramené quelques années en arrière quand je me liquéfiais dès qu'une fille me souriait. Quelle chance vous avez. Profitez-en. A ce moment aussi, pour la première fois, j'ai senti que ce livre que j'avais porté si longtemps venait de me quitter vraiment. Vous l'avez pris. Il est devenu le vôtre. Il vous appartient aujourd'hui. Vous l'avez choisi. Je ne peux pas, à cet instant, ne pas mesurer la difficulté du choix que vous avez eu à faire. La sélection, cette année, était belle. Si vous aviez donné ce prix à Davis Foenkinos, à Sorj Chalandon, à Delphine Le Vigan ou à Véronique Ovaldé, cela n'aurait pas été une injustice. Leurs romans sont beaux et forts.



Pour vous, cette aventure du Goncourt des Lycéens doit être un signe exemplaire de votre vie à venir. Vous avez accompli là un choix citoyen. Vous avez travaillé, réfléchi, discuté, pesé le pour et le contre et vous avez voté. Ca s'appelle la Démocratie. (On a dit que ce n'était pas le meilleur des systèmes mais on n'en a pas encore trouvé de meilleur). C'est notre bien le plus précieux. Ca veut dire être libre dans un pays libre. N'acceptez jamais d'entrave à ce droit. Personne n'a plus à vous dire ce en quoi vous devez croire, ce que vous devez penser ou aimer. Soyez des citoyens de ce vaste monde. Il en a bien besoin.



Pour ce que vous êtes, pour ce que vous ferez et pour ces moments magiques que nous avons partagé ensemble : Merci.











Jean-Michel Guenassia





             























22 rue Huyghens 75680 Paris Cedex 14 / Tel : 01 4279 10 00 / www.albin-michel.fr  

mercredi 4 novembre 2009

Tempête d'équinoxe

Avec le nouvel an celtique arrivent les tempêtes d'équinoxe, le plaisir d'être happé par les rafales, de voir les goélands faire du surplace face au vent, les vagues exploser et déferler par-dessus la jetée de Kerroc'h...


La mer verdâtre bouillonne

explose en geysers sur le brise-lames

un seul oiseau contre le vent

un goéland aux ailes noires

essaie de se frayer un couloir.



Je me risque sur le promontoire

contre le vent je voudrais lutter

dans l'air je voudrais flotter

oui mais voilà…

le vent me renverse

et j' suis là

comme un goéland sans ailes

dans la tempête.



J' voudrais

tous les jours sur la page

donner la parole aux étoiles

dessiner le poème de leur visage

tracer le calligramme de leur âme

et vous offrir

autre chose que la vie banale et ses drames

que les peines de cœur

le travail et la sueur

que la douleur de nos vies qui s'usent

à avancer dans ce couloir gris

avec tous ces gens

qui ne disent jamais merci.



J' voudrais vous offrir autre chose

que les tristesses de la planète

que les souffrances des hommes et des bêtes

que ce spectacle quotidien

servi chaque soir aux citoyens.



J' voudrais vous offrir autre chose…

oui mais voilà

j' suis là

comme un goéland sans ailes

dans la tempête.



J'ai beau essayer

j'ai beau faire

convoquer tous mes amis poètes

ceux d'avant

ceux de maintenant

ceux de là-bas

ceux d'ici

comme eux je voudrais vous dire

les rochers granitiques

les poissons pélagiques

les voyages atlantiques

les musiques cosmiques

les particules microscopiques

les visions galactiques

les envolées lyriques

et les éveils pré-socratiques.



J' voudrais vous écrire un poème

oui mais voilà…

j' suis là

comme un goéland sans ailes

dans la tempête.



J'voudrais vous offrir la lumière

dessiner des lettres d'or

sur le front de vos vies

j' voudrais d'un simple coup d'aile

vous transporter

bien au-delà des grands trous noirs

au pays de l'aube éternelle

là où le vent joue de la harpe

avec les cheveux des étoiles.



J' voudrais vous écrire ce poème…

oui mais voilà

j'ai beau essayer

j'ai beau faire

battre des ailes sur la page…

je suis là

comme un goéland sans ailes

dans la tempête…

Publié dans Encres vives 2008, L'empreinte des cygnes 2009