Texte publié dans le n°43: Iles
Chacun cherche son île
Trait de côte, bleu, blanc, courbe, sentier, granit, lichen, port, falaise, échancrure, frange d'écume, rose des arméries, odeur jaune des ajoncs en avril.
Cet inventaire
toujours le même.
Enez Groe, Enez Eussa, Houat, Hoedic, île de Batz…
Geirr ey ou Guernsey, l'île aux pins.
1855 – 1870.
Pour Victor Hugo, île d'exil.
Hauteville House, grande maison vide et hantée, aménagée selon sa vie, sa demeure.
A chaque étage, le monde s'éclaire, tout en haut, la chambre de verre, la chambre de veille, Hugo, gardien de phare, écrit debout, dans l'air et la lumière.
Et finit par aimer l'exil.
Guernsey, avril 2008.
Peu de monde sur le sentier de la falaise.
Tout au long du chemin, des plaques apposées sur les bancs. Sur l'une d'elles une phrase de Mick Ronald Robins, journaliste à St-Peter Port, 1923-1993 : « You can take the man from the island, not the island from the man »
(Vous pouvez enlever l'homme de l'île mais pas l'île de l'homme).
Janvier 1903.
Victor Segalen en Polynésie.
Ici comme ailleurs, la race se meurt…
Déception dans son Journal des îles.
1910.
A Pékin, Segalen dans sa « chambre aux porcelaines »
cherche son centre, son territoire, son île intérieure.
Il l'imagine au Tibet.
Où il n'ira jamais.
Il écrit son poème Thibet, inachevé.
Il cherche son île vers les cimes
Tout l'Etre aux horizons de naufrage.
Avril 2008.
A Lhassa, un moine est emprisonné
son ami tué par les soldats
héritiers de Mao
bien loin du Tao.
Il demande de l'encre et un pinceau.
Sur le papier il figure quelques vagues
quelques nuages
un trait : une île
un vieux pin tordu
quelques V, vols de mouettes errantes.
Et puis, au ras de la page
une barque et deux rames.
On vient chercher le prisonnier.
Trop tard, le lama s'est sauvé…