samedi 30 juin 2012

Citation lue au musée de Vannes

J'ai relevé une phrase du graveur Jean Fautrier (1898-1964) au musée de la Cohue à Vannes, dans l'exposition temporaire consacrée à l'art moderne. Je l'ai notée car je partage complètement cette idée, ou ce sentiment.

"Aucune forme d'art ne peut donner d'émotion s'il ne s'y mêle une part de réel. Si infime qu'elle soit, si impalpable cette allusion, cette parcelle irréductible éclaire le sens, elle ouvre sa réalité profonde, essentielle, à la sensibilité qui est l'intelligence véritable."

vendredi 1 juin 2012

Roman indien : "Les neuf visages du coeur" d'Anita Nair


Les neuf visages du cœur. Anita Nair. Traduit de l’anglais (Inde) par Marielle Morin. Titre original The Mistress. Editions Philippe Picquier 2006.

J’ai rencontré ce livre à la médiathèque, il était mis en évidence à l’occasion de la semaine « L’Inde à Lorient ». Une découverte !

Ce long roman, nous plonge dans une Inde du sud entre tradition et modernité mais surtout est construit selon une architecture particulièrement intéressante et complexe où s’entrecroisent de nombreux thèmes de réflexion portés par une intrigue à suspense, digne d’un roman policier.
Le titre français, bien trouvé, correspond au thème principal du livre, la danse traditionnelle du Kerala, état où est née l’auteure. Le prologue, dit par un narrateur non identifié, à moi que ce soit Sethu, l’oncle, colonne vertébrale du récit et danseur devenu âgé, nous présente ces neuf émotions qui sont tout l’art du danseur de Kathakali :
« Regardez-moi. Regardez mon visage. Un visage nu, dépourvu de couleur et de maquillage, de paillettes et de parure. De quoi est-il composé ? Le front, les sourcils, les narines, la bouche, le menton et les trente-deux muscles faciaux. Tels sont les instruments avec lesquels nous allons façonner ce langage sans paroles. Les navarasas : amour, mépris, chagrin, fureur, courage, peur, dégoût, émerveillement, paix.
Dans la danse, tout comme dans la vie, on n’a pas besoin de plus de neuf voies d’expression. Appelons-les les neuf visages du cœur. »
Dès le prologue aussi, arrive un jeune américain qui voyage avec son violoncelle, et se demande si le vieil homme sur lequel il vient enquêter pour écrire un livre, n’est pas son père.

Ensuite, le roman est découpé en trois livres, eux-mêmes subdivisés en trois émotions, en suivant l’ordre annoncé. Le narrateur explique le travail du danseur concernant ce visage puis laisse la place à trois voix, qui donnent trois versions du même récit : Rhada, Shyam son mari, et Oncle.
Chris, le bel Américain enregistre l’oncle sur son magnétophone et va bien sûr être l’élément perturbateur qui va tout bousculer. L’oncle raconte plusieurs histoires, sa vision du présent, et le déroulement des événements passés, comportant des secrets de famille, des changements d’identités, un fil complexe où Chris cherche la réponse à sa propre question d’identité.

Le thème principal, à mon avis, ou celui qui m’a le plus intéressée, est celui de l’art, par les choix de l’oncle qui lui a voué sa vie entière, tout en restant inconnu, alors que d’autres danseurs sont devenus des vedettes internationales, mais ont perverti, affadi, perdu le sens profond de la danse : « Alors, quand je vois quelqu’un comme Sundaran massacrer le kathakali pour s’assurer le succès, en le dépouillant de tout ce qu’il a de noble, de subtil et de complexe, je trouve ça répugnant. Il flatte le public en lui offrant un divertissement facile sous couvert d’art classique. A mes yeux, c’est de l’escroquerie. » (P. 577)

La question de l’amour, le premier des visages de la danse, est posée par des relations qui se font et se défont, le mariage, et la situation des femmes. On peut le lire dans le contexte indien, où les femmes sont contraintes par les lois de mariages arrangés ou dans un contexte universel. Qu’est-ce que le sentiment amoureux ? Stendhal a déjà posé la question, avec sa métaphore de la « cristallisation » qui peut disparaître aussi vite qu’elle est apparue.

La phrase qui m’a le plus touchée est prononcée par l’oncle à la fin du roman : « Finalement, le plus important, c’est que l’art confère un sens à la vie. »

Tarun J Tejpal, Anita Nair, et d’autres à découvrir, la littérature indienne mérite qu’on s’y intéresse davantage, j’ai l’impression qu’en France elle est assez peu connue et c'est bien dommage !