Les neuf visages du cœur. Anita Nair. Traduit
de l’anglais (Inde) par Marielle Morin. Titre original The Mistress.
Editions Philippe Picquier 2006.
J’ai rencontré ce livre à la
médiathèque, il était mis en évidence à l’occasion de la semaine « L’Inde
à Lorient ». Une découverte !
Ce long roman, nous plonge dans
une Inde du sud entre tradition et modernité mais surtout est construit selon
une architecture particulièrement intéressante et complexe où s’entrecroisent
de nombreux thèmes de réflexion portés par une intrigue à suspense, digne d’un
roman policier.
Le titre français, bien trouvé,
correspond au thème principal du livre, la danse traditionnelle du Kerala, état
où est née l’auteure. Le prologue, dit par un narrateur non identifié, à moi
que ce soit Sethu, l’oncle, colonne vertébrale du récit et danseur devenu âgé,
nous présente ces neuf émotions qui sont tout l’art du danseur de
Kathakali :
« Regardez-moi. Regardez
mon visage. Un visage nu, dépourvu de couleur et de maquillage, de paillettes
et de parure. De quoi est-il composé ? Le front, les sourcils, les
narines, la bouche, le menton et les trente-deux muscles faciaux. Tels sont les
instruments avec lesquels nous allons façonner ce langage sans paroles. Les
navarasas : amour, mépris, chagrin, fureur, courage, peur, dégoût,
émerveillement, paix.
Dans la danse, tout comme dans
la vie, on n’a pas besoin de plus de neuf voies d’expression. Appelons-les les
neuf visages du cœur. »
Dès le prologue aussi, arrive un
jeune américain qui voyage avec son violoncelle, et se demande si le vieil
homme sur lequel il vient enquêter pour écrire un livre, n’est pas son père.
Ensuite, le roman est découpé en
trois livres, eux-mêmes subdivisés en trois émotions, en suivant l’ordre
annoncé. Le narrateur explique le travail du danseur concernant ce visage puis
laisse la place à trois voix, qui donnent trois versions du même récit :
Rhada, Shyam son mari, et Oncle.
Chris, le bel Américain
enregistre l’oncle sur son magnétophone et va bien sûr être l’élément
perturbateur qui va tout bousculer. L’oncle raconte plusieurs histoires, sa
vision du présent, et le déroulement des événements passés, comportant des
secrets de famille, des changements d’identités, un fil complexe où Chris
cherche la réponse à sa propre question d’identité.
Le thème principal, à mon avis,
ou celui qui m’a le plus intéressée, est celui de l’art, par les choix de
l’oncle qui lui a voué sa vie entière, tout en restant inconnu, alors que
d’autres danseurs sont devenus des vedettes internationales, mais ont perverti,
affadi, perdu le sens profond de la danse : « Alors, quand je vois
quelqu’un comme Sundaran massacrer le kathakali pour s’assurer le succès, en le
dépouillant de tout ce qu’il a de noble, de subtil et de complexe, je trouve ça
répugnant. Il flatte le public en lui offrant un divertissement facile sous
couvert d’art classique. A mes yeux, c’est de l’escroquerie. » (P. 577)
La question de l’amour, le
premier des visages de la danse, est posée par des relations qui se font et se
défont, le mariage, et la situation des femmes. On peut le lire dans le
contexte indien, où les femmes sont contraintes par les lois de mariages
arrangés ou dans un contexte universel. Qu’est-ce que le sentiment
amoureux ? Stendhal a déjà posé la question, avec sa métaphore de la
« cristallisation » qui peut disparaître aussi vite qu’elle est
apparue.
La phrase qui m’a le plus touchée est prononcée par
l’oncle à la fin du roman : « Finalement, le plus important, c’est
que l’art confère un sens à la vie. »
Tarun J Tejpal, Anita Nair, et
d’autres à découvrir, la littérature indienne mérite qu’on s’y intéresse
davantage, j’ai l’impression qu’en France elle est assez peu connue et c'est bien dommage !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire