mercredi 15 février 2012

Voyage...


L'orme ivre d’une ombre.

Né dans cette terre de fougères, il a grandi dans la clairière, à l'orée du village, aimé des hommes et des bêtes, ses racines épanouies plongeaient loin dans la terre, ses branches s'élevaient haut vers le soleil.
Les oiseaux des bois nichaient dans son feuillage, les hommes s'abritaient au pied de cet arbre, les jeunes filles y dansaient en ronde, les amoureux lui confiaient leurs secrets et lui sculptaient des cœurs sur le tronc.
Les oiseaux de passage qui se reposaient dans ses branchages, lui racontaient les pays lointains, lui parlaient d'autres paysages. C'est ainsi que le grand orme se mit à rêver de voyage, dans les hivers de givre, endormi sous ses branches de cristal. Au dégel, il attendait le retour des hirondelles. Elles lui racontaient les savanes, le rire des enfants noirs, la vie sous les arbres à palabres.
Enraciné dans sa terre, il voulait voir du pays, se sentir libre, voyager. Pourtant, il avait tout pour être heureux sous ce climat tempéré. Il essayait de sortir ses racines, mais impossible, il était trop solidement attaché.
Alors, l'orme devint triste, ses feuilles se mirent à jaunir, puis à tomber en plein été. Il n'offrait plus ses frondaisons fraîches aux oisillons dans leur nid, était boudé des hirondelles, des vagabonds de passage et des amoureux en promenade. Plus aucun ami ne s'arrêtait. Quand vint l'hiver, il était si triste que sa sève se figea et tout son bois sécha. Au printemps, il ne restait plus qu'un tronc sec. Il était mort.
La morale de cette histoire, nous pouvons l'emprunter à Charles Baudelaire :

L'homme ivre d'une ombre qui passe
Porte toujours le châtiment
D'avoir voulu changer de place.

Extrait de "La Consolation des pierres"


Sur les froissements d’aube
des draps de sable nubile
de l’éclatement écarlate de la chair déchirée
émerge un chaos de roches noires
un rêve de falaise où l’esprit peut s’arrêter
et contempler sans sombrer.

Dans ce monde nouveau-né
dans les gerçures ocres et rouges
de fer oxydé
dans la terre de sang
un espoir de bleu cherche son chemin
vers l’échappée du ciel vide.


Copyrights : Mireille Le Liboux, Dominique Haab-Camon pour l'image.

mardi 14 février 2012

Lettre à Georges Perros


L'association  BAGNE (Breizh Association Glomel Nature Environnement) proposait un concours de lettres d'amour. Deux-cents lettres ont été envoyées.
Voir le site :  http://bagne.over-blog.com/


J'ai eu plaisir à écrire cette lettre à un poète dont je me sens très proche :

Cher Georges Perros

« Le plus important dans un livre, c’est la voix de l’auteur, cette voix qui parvient jusqu’à nous ».
En lisant cette phrase de Jorge Luis Borges, j’ai pensé à vous. Dès que je vous ai lu, j’ai entendu votre voix. Et je vous ai aimé.
Cela a commencé quand, par hasard, un jour de brouillard à l’âme, j’ai ouvert un de vos livres, sans trop savoir qui vous étiez et j’ai lu ces vers :
rien ne m’ayant encore donné
l’enviable sensation
d’être tout à fait là sur terre.
C’étaient les mots qui tournaient dans ma tête, c’était mon double qui parlait à l’intérieur de moi. Puis cet enfant
qui se noyait dans sa cuvette
il pesait moins de trois kilos
il était condamné à mort
au reste l’est-il pas toujours
comme mort son frère jumeau
avant même d’avoir vécu
cet enfant, c’était moi, comme morte aussi ma sœur jumelle avant d’avoir vécu. Trouble profond de cette homonymie de vie, comme vous, moi, étonnée d’être là.
Vous me parlez d’entre les pages et mon cœur bat, battements du présent réconcilié. Rencontre en temps décalé avec mon âme jumelle. Présence de l’absente. Cœur abstergé.
Cher Georges, j’aime votre vie ordinaire, votre poésie débraillée, en chandail marin rapiécé, papiers collés, lambeaux arrachés à la douleur, cœur de papier mâché, cœur jumeau qui m’a manqué.
Comme vous, j’aime la solitude féconde qui nous relie à l’univers entier, ce lien tissé qu’on nomme « poésie » :
J’écris et il suffit d’un simple regard vers la fenêtre encombrée de lierre pour que ma solitude s’identifie, épouse l’immensité qui est à ma portée.
Je ne sais plus qui de nous deux écrit, vos mots sont les miens, mes pensées sont les vôtres.
Comme vous, j’aime la mer quand elle caresse le rocher, cet érotisme cosmique :
« Depuis le temps que le roc / affronte la mer / qui l’arrondit / et le polit / il doit finir / par aimer ça. », ai-je écrit un jour.
Puis de vous j’ai lu ceci, nous échangions des correspondances :
La mer m’a parfois donné la sensation d’être le sexe de la terre, de relever les jupes de ces plaines et montagnes fastidieuses. Mais on ne couche pas avec la mer. A moins d’être fou, et d’y rester. Quoi qu’il en soit, son flux et reflux m’a toujours impressionné, non par sa « beauté », mais par son caractère érotique très prononcé. Comme si la terre n’était que l’enfant jeté de ce halètement perpétuel.
Vous me répondiez dans l’espace-temps parallèle de la poésie, espace du cœur et de la seule vraie vie.
Vous êtes mort, comme vous dites, le sifflet coupé par la maladie. Pourtant vous vivez en moi, vous êtes mon double masculin, l’autre moitié de moi, celle que j’ai toujours espérée, enfin rencontrée.
Je vous aime dans l’outre-noir des signes imprimés. Si la solitude est pesante, il me suffit de caresser votre nom sur les couvertures des livres (je vous ai réservé une étagère de ma bibliothèque), de feuilleter au hasard quelques pages pour retrouver entre les mots mon cœur jumeau.
Ce soir vos yeux me sourient dans le ciel sans voile. Georges Perros, j’écoute votre voix et vous réponds depuis le pays de l’âme.
Cher Georges, à bientôt dans les étoiles.

lundi 13 février 2012

Même pas un poème


Le chemin de Lannénec

Or c’est le dérisoire qui marque l’essentiel 

Alexis Gloaguen. Les Veuves de verre.

 


Sur le chemin de Lannénec
aujourd’hui j’ai vu
des chevaux dans un pré
sur le chemin des cavaliers



près d’une roselière
un renard était arrêté
je l’ai regardé
il m’a regardée
puis doucement s’en est allé

plus loin des vaches broutaient
elles m’ont fixée
quand je suis passée
intriguées



près de l’étang
je suis allée à la fontaine
de Sainte Ninnoch
des canards sur l’eau divaguaient
et on entendait des joueurs de djembé



qu’est-ce que j’ai vu encore ?
des rouges-gorges
(pas de raton-laveur)
des restes de glace
et le soleil qui brillait
sur l’eau plate

c’était un samedi de février
où le reste de la France
était enneigé

j’ai ramené des photos
 et quelques mots griffonnés
pas de quoi faire un poème
ça m’a rappelé ma maîtresse
du cours moyen deuxième année
et les textes libres publiés
dans le journal ronéotypé.

                                                                                  Ploemeur, Bretagne sud, samedi 11 février 2012

jeudi 9 février 2012

"Rendez-vous à Skye" : photos du voyage en Ecosse

Ce roman, publié par Edilivre, est une fiction basée sur un voyage réel. Voici quelques extraits et les photos correspondantes.




Lacs aux nénuphars sous le soleil. Légers bruissements de l’eau.
Monde flottant d’Hokusaï.
Dans le silence, le cri d’un oiseau de proie, esprit planant sur la prairie.
Solitude, monde premier.
Seule une rainette effrayée par mes pas sur le chemin. Je fais un détour.
Bleu du loch, colline verte, bleu de la mer, bleu du ciel, couches d’un millefeuille de roches et d’eau. 




 
Plus je montais et plus j’avais l’impression d’être en Chine, en train d’escalader le Mont Wudang, j’avais l’impression d’une ascension initiatique, que tout pouvait arriver, qu’une autre réalité pouvait m’être donnée à voir. 




 Les corbeaux-chamans, tels que je me plais à les voir, sont toujours là, immobiles. J’ai envie de profiter de cet instant, du diamant de cette solitude. 





 Plus bas, formes sculpturales de totem, c’est un grand-duc majestueux qui apparaît découpé dans ce vieux tronc d’arbre en contre-jour. Suis-je dans un monde parallèle ? Je l’ai photographié cet arbre, tu verras que je n’invente rien. Je suis peut-être le seul passant à avoir vu le grand oiseau…



Glencoe, l'endroit où on dort...


 Pour passer la soirée, enfermé dans sa voiture, il sortit le guide de Kenneth White qu’il n’avait pas ouvert depuis un certain temps. A la page sur Glencoe, le livre lui tomba des mains, de surprise. Après l’évocation du massacre des MacDonald de 1692, il lut, page 77 :
Mais Glencoe, on le sait moins, est bien plus que le lieu d’un événement. Tout le monde y dort. […] C’est donc ici que vivaient les Feinn, le vent, c’est leur respiration, et un jour, selon la légende, ils se réveilleront.
Ce sommeil inhabituel, ce sentiment indéfinissable coïncidaient avec la légende ! Impression troublante qui sera durable, il s’était passé quelque chose à Glencoe. Quelque chose qu’on ne peut ni oublier ni inventer.