mardi 14 février 2012

Lettre à Georges Perros


L'association  BAGNE (Breizh Association Glomel Nature Environnement) proposait un concours de lettres d'amour. Deux-cents lettres ont été envoyées.
Voir le site :  http://bagne.over-blog.com/


J'ai eu plaisir à écrire cette lettre à un poète dont je me sens très proche :

Cher Georges Perros

« Le plus important dans un livre, c’est la voix de l’auteur, cette voix qui parvient jusqu’à nous ».
En lisant cette phrase de Jorge Luis Borges, j’ai pensé à vous. Dès que je vous ai lu, j’ai entendu votre voix. Et je vous ai aimé.
Cela a commencé quand, par hasard, un jour de brouillard à l’âme, j’ai ouvert un de vos livres, sans trop savoir qui vous étiez et j’ai lu ces vers :
rien ne m’ayant encore donné
l’enviable sensation
d’être tout à fait là sur terre.
C’étaient les mots qui tournaient dans ma tête, c’était mon double qui parlait à l’intérieur de moi. Puis cet enfant
qui se noyait dans sa cuvette
il pesait moins de trois kilos
il était condamné à mort
au reste l’est-il pas toujours
comme mort son frère jumeau
avant même d’avoir vécu
cet enfant, c’était moi, comme morte aussi ma sœur jumelle avant d’avoir vécu. Trouble profond de cette homonymie de vie, comme vous, moi, étonnée d’être là.
Vous me parlez d’entre les pages et mon cœur bat, battements du présent réconcilié. Rencontre en temps décalé avec mon âme jumelle. Présence de l’absente. Cœur abstergé.
Cher Georges, j’aime votre vie ordinaire, votre poésie débraillée, en chandail marin rapiécé, papiers collés, lambeaux arrachés à la douleur, cœur de papier mâché, cœur jumeau qui m’a manqué.
Comme vous, j’aime la solitude féconde qui nous relie à l’univers entier, ce lien tissé qu’on nomme « poésie » :
J’écris et il suffit d’un simple regard vers la fenêtre encombrée de lierre pour que ma solitude s’identifie, épouse l’immensité qui est à ma portée.
Je ne sais plus qui de nous deux écrit, vos mots sont les miens, mes pensées sont les vôtres.
Comme vous, j’aime la mer quand elle caresse le rocher, cet érotisme cosmique :
« Depuis le temps que le roc / affronte la mer / qui l’arrondit / et le polit / il doit finir / par aimer ça. », ai-je écrit un jour.
Puis de vous j’ai lu ceci, nous échangions des correspondances :
La mer m’a parfois donné la sensation d’être le sexe de la terre, de relever les jupes de ces plaines et montagnes fastidieuses. Mais on ne couche pas avec la mer. A moins d’être fou, et d’y rester. Quoi qu’il en soit, son flux et reflux m’a toujours impressionné, non par sa « beauté », mais par son caractère érotique très prononcé. Comme si la terre n’était que l’enfant jeté de ce halètement perpétuel.
Vous me répondiez dans l’espace-temps parallèle de la poésie, espace du cœur et de la seule vraie vie.
Vous êtes mort, comme vous dites, le sifflet coupé par la maladie. Pourtant vous vivez en moi, vous êtes mon double masculin, l’autre moitié de moi, celle que j’ai toujours espérée, enfin rencontrée.
Je vous aime dans l’outre-noir des signes imprimés. Si la solitude est pesante, il me suffit de caresser votre nom sur les couvertures des livres (je vous ai réservé une étagère de ma bibliothèque), de feuilleter au hasard quelques pages pour retrouver entre les mots mon cœur jumeau.
Ce soir vos yeux me sourient dans le ciel sans voile. Georges Perros, j’écoute votre voix et vous réponds depuis le pays de l’âme.
Cher Georges, à bientôt dans les étoiles.

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