L'association BAGNE (Breizh Association Glomel Nature Environnement) proposait un concours de lettres d'amour. Deux-cents lettres ont été envoyées.
Voir le site : http://bagne.over-blog.com/
J'ai eu plaisir à écrire cette lettre à un poète dont je me sens très proche :
Cher Georges
Perros
« Le
plus important dans un livre, c’est la voix de l’auteur, cette voix qui
parvient jusqu’à nous ».
En lisant
cette phrase de Jorge Luis Borges, j’ai pensé à vous. Dès que je vous ai lu,
j’ai entendu votre voix. Et je vous ai aimé.
Cela a
commencé quand, par hasard, un jour de brouillard à l’âme, j’ai ouvert un de
vos livres, sans trop savoir qui vous étiez et j’ai lu ces vers :
rien ne m’ayant encore donné
l’enviable sensation
d’être tout à fait là sur terre.
C’étaient les
mots qui tournaient dans ma tête, c’était mon double qui parlait à l’intérieur
de moi. Puis cet enfant
qui se noyait dans sa cuvette
il pesait
moins de trois kilos
il était condamné à mort
au reste l’est-il pas toujours
comme mort son frère jumeau
avant même d’avoir vécu
cet enfant, c’était moi, comme morte aussi ma
sœur jumelle avant d’avoir vécu. Trouble profond de cette homonymie de
vie, comme vous, moi, étonnée d’être là.
Vous me
parlez d’entre les pages et mon cœur bat, battements du présent réconcilié. Rencontre
en temps décalé avec mon âme jumelle. Présence de l’absente. Cœur abstergé.
Cher Georges,
j’aime votre vie ordinaire, votre
poésie débraillée, en chandail marin rapiécé, papiers collés, lambeaux
arrachés à la douleur, cœur de papier mâché, cœur jumeau qui m’a manqué.
Comme vous,
j’aime la solitude féconde qui nous relie à l’univers entier, ce lien tissé qu’on
nomme « poésie » :
J’écris et
il suffit d’un simple regard vers la fenêtre encombrée de lierre pour que ma
solitude s’identifie, épouse l’immensité qui est à ma portée.
Je ne sais
plus qui de nous deux écrit, vos mots sont les miens, mes pensées sont les
vôtres.
Comme vous,
j’aime la mer quand elle caresse le rocher, cet érotisme cosmique :
« Depuis le temps que le roc / affronte la mer
/ qui l’arrondit / et le polit / il doit finir / par aimer ça. », ai-je
écrit un jour.
Puis de vous j’ai lu ceci,
nous échangions des correspondances :
La mer m’a parfois donné
la sensation d’être le sexe de la terre, de relever les jupes de ces plaines et
montagnes fastidieuses. Mais on ne couche pas avec la mer. A moins d’être fou,
et d’y rester. Quoi qu’il en soit, son flux et reflux m’a toujours
impressionné, non par sa « beauté », mais par son caractère érotique
très prononcé. Comme si la terre n’était que l’enfant jeté de ce halètement
perpétuel.
Vous me répondiez dans
l’espace-temps parallèle de la poésie, espace du cœur et de la seule vraie vie.
Vous êtes mort, comme vous dites, le sifflet
coupé par la maladie. Pourtant vous vivez en moi, vous êtes mon double
masculin, l’autre moitié de moi, celle que j’ai toujours espérée, enfin
rencontrée.
Je vous aime dans l’outre-noir des signes imprimés.
Si la solitude est pesante, il me suffit de caresser votre nom sur les
couvertures des livres (je vous ai réservé une étagère de ma bibliothèque), de
feuilleter au hasard quelques pages pour retrouver entre les mots mon cœur
jumeau.
Ce soir vos
yeux me sourient dans le ciel sans voile. Georges Perros, j’écoute votre voix
et vous réponds depuis le pays de l’âme.
Cher Georges, à bientôt dans les étoiles.
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