J'ai été sollicitée pour participer au débat sur
La question posée : "Passéistes, les langues régionales ?"
Voici la contribution que j'ai proposée :
« Passéistes,
les langues régionales ? », demandez-vous ?
On pourrait
alors demander : passéiste, la (bio)diversité ? Qui oserait répondre
oui ? Du ministère de l’Écologie qui explique que la race humaine fait
partie de la biodiversité à Jean-Marie Pelt qui insiste sur la nécessaire
diversité des langues au même titre que celle des plantes, il semble y avoir un
consensus, au moins affiché. Alors, pourquoi cette obstination, obsession,
exception françaises, à faire un problème, là où dans la majorité des pays sur
la planète, à part quelques dictatures, il n’y a pas de problème ? Quelle
peur irrationnelle est sous-jacente ? Marianne serait-elle si fragile
qu’elle se démembrerait si le multilinguisme avait cours sur son
territoire ?
Que les rois
de France aient voulu unifier le royaume, que François 1er ait voulu
faire du français la langue officielle en 1539 par l’arrêté de
Villers-Cotterêts, cela avait du sens à l’époque. La langue orale, le roman, se
développait depuis le douzième siècle, en devenant la langue écrite des
premiers romanciers écrivant de manière personnelle les récits de la
« matière de Bretagne ». Le latin était dépassé, il fallait être
moderne.
Mais
aujourd’hui ?
La langue
française n’est pas contestée en France.
Quel danger
pourrait représenter la reconnaissance d’autres langues en parallèle ?
Avoir deux langues, est-ce une richesse ou un problème ? Être riche de
plusieurs cultures, en quoi cela menacerait-il la République Une et
Indivisible ?
Si l’identité
française de définit comme une masse indifférenciée d’individus identiques, on
est tombé bien bas. Il est vrai que la culture en France est très menacée par
les temps qui courent (je viens de recevoir une pétition à signer émanant de
théâtres nationaux, c’est dire !). J’ai même la nette impression qu’il y a
une volonté politique non plus de former des citoyens autonomes ayant les
outils de la comparaison et donc de la réflexion, mais de formater la
population à une « pensée » (qui n’en est plus une) unique, réalisant
ainsi la crainte exprimée par Claude Lévi-Strauss en 1955 dans Tristes
tropiques : « L’humanité s’installe dans la monoculture ;
elle s’apprête à produire la civilisation de masse, comme la betterave. son
ordinaire ne comportera plus que ce plat. » On en est là.
Alors, en quoi
développer les langues minoritaires est-il moderniste ?
D’abord, on
l’aura compris, pour sauvegarder ce qui reste de diversité.
Car tous les
linguistes s’accordent à dire qu’une langue exprime une vision du monde, un
mode de pensée et de perception, et que pouvoir comparer ces perceptions est
une richesse pour le patrimoine mondial. Alors qu’en français, on a un mot pour
définir la couleur de la neige (c’est bien limité pour les poètes ! ), en
inuit, on a une centaine de manières de la décrire, toute une palette de
nuances.
De même en
breton, on a un adjectif intraduisible pour définir la couleur de l’océan,
« glaz », qui peut vouloir dire bleu ou vert, mais il existe un autre
mot pour le vert de l’herbe, c’est donc juste la couleur de l’Atlantique, celle
qui a attiré et attire encore tant de peintres.
Bilinguisme
précoce.
Ensuite, il
est prouvé par les nombreuses études réalisées en psycholinguistique que le
bilinguisme précoce chez les enfants favorise l’apprentissage ultérieur
d’autres langues et développe de manière plus générale les capacités
d’abstraction.
Je reviens
d’un voyage en Inde.
Pour peu
qu’ils aient eu accès aux études, beaucoup d’Indiens parlent au moins trois
langues : celle de leur état, par exemple le penjabi ou le tamoul, l’hindi
parlé par 20 % de la population, l’anglais, évidemment.
Et j’ai
constaté un engouement pour le français que la France n’honore pas, puisque les
centres culturels français et les Alliances Françaises sont exsangues. Que ce
soit à Chandigarh ou à Puducherry, où de nombreux jeunes indiens vont apprendre
le français, les droits d’inscriptions ont dû être augmentés, limitant ainsi de
manière drastique l’accès à la francophonie. C’est poignant ! J’ai été
très sollicitée pour donner des cours de français, avis aux amateurs !
Donc, non seulement la France se ferme aux richesses
dont elle a la chance de disposer sur son propre territoire, mais le français
devient une langue ultra-minoritaire dans le monde, alors qu’il jouit encore,
pour l’instant, d’un certain prestige et représente, dans l’exemple des
Indiens, une ouverture au monde.
Triste image
d’un pays qui se recroqueville sur lui-même, au risque de la nécrose.
Poésie
Pour terminer
poétiquement, voici un texte d’une poète et amie écossaise, qui écrit, certe,s
en anglais, mais aussi en shetlandais, de l’île dont elle est originaire. Il
s’agit de Christine De Luca, le titre du recueil est Mondes parallèles (ce
qui est un hommage au multilinguisme). La traduction en français est de
Jean-Paul Blot et le recueil a obtenu le prix du livre insulaire d’Ouessant en
2007 (édition fédérop).
Sam but different / Semblables mais différents
Ayant, dès le
départ, plus d’une façon de parler,
de comprendre
les choses, nous apprenons à ajuster
ce que nous
disons à ce qu’on attend de nous. Plaignez ceux
qui sont nés
dans une seule langue, ceux qui n’ont jamais goûté
ne serait-ce
qu’un plat d’autres tables.
Élevés dans
deux langues c’est inconsciemment
partager un
festin : deux manières de penser.
L’une
enrichit l’autre, peut nous révéler un autre monde,
que tous les
mondes cependant
sont tout
simplement semblables mais différents.
© Christine de
Luca, éditions fédérop
Mireille Le
Liboux
Professeur de
lettres retraitée
Membre de
l’Association des Ecrivains Bretons.
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