mardi 3 avril 2012

Newsring lance un débat sur les langues régionales


 J'ai été sollicitée pour participer au débat sur
La question posée : "Passéistes, les langues régionales ?"


Voici la contribution que j'ai proposée :


« Passéistes, les langues régionales ? », demandez-vous ?

On pourrait alors demander : passéiste, la (bio)diversité ? Qui oserait répondre oui ? Du ministère de l’Écologie qui explique que la race humaine fait partie de la biodiversité à Jean-Marie Pelt qui insiste sur la nécessaire diversité des langues au même titre que celle des plantes, il semble y avoir un consensus, au moins affiché. Alors, pourquoi cette obstination, obsession, exception françaises, à faire un problème, là où dans la majorité des pays sur la planète, à part quelques dictatures, il n’y a pas de problème ? Quelle peur irrationnelle est sous-jacente ? Marianne serait-elle si fragile qu’elle se démembrerait si le multilinguisme avait cours sur son territoire ?
Que les rois de France aient voulu unifier le royaume, que François 1er ait voulu faire du français la langue officielle en 1539 par l’arrêté de Villers-Cotterêts, cela avait du sens à l’époque. La langue orale, le roman, se développait depuis le douzième siècle, en devenant la langue écrite des premiers romanciers écrivant de manière personnelle les récits de la « matière de Bretagne ». Le latin était dépassé, il fallait être moderne.

Mais aujourd’hui ?
La langue française n’est pas contestée en France.
Quel danger pourrait représenter la reconnaissance d’autres langues en parallèle ? Avoir deux langues, est-ce une richesse ou un problème ? Être riche de plusieurs cultures, en quoi cela menacerait-il la République Une et Indivisible ?
Si l’identité française de définit comme une masse indifférenciée d’individus identiques, on est tombé bien bas. Il est vrai que la culture en France est très menacée par les temps qui courent (je viens de recevoir une pétition à signer émanant de théâtres nationaux, c’est dire !). J’ai même la nette impression qu’il y a une volonté politique non plus de former des citoyens autonomes ayant les outils de la comparaison et donc de la réflexion, mais de formater la population à une « pensée » (qui n’en est plus une) unique, réalisant ainsi la crainte exprimée par Claude Lévi-Strauss en 1955 dans Tristes tropiques : « L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation de masse, comme la betterave. son ordinaire ne comportera plus que ce plat. » On en est là.

Alors, en quoi développer les langues minoritaires est-il moderniste ?
D’abord, on l’aura compris, pour sauvegarder ce qui reste de diversité.
Car tous les linguistes s’accordent à dire qu’une langue exprime une vision du monde, un mode de pensée et de perception, et que pouvoir comparer ces perceptions est une richesse pour le patrimoine mondial. Alors qu’en français, on a un mot pour définir la couleur de la neige (c’est bien limité pour les poètes ! ), en inuit, on a une centaine de manières de la décrire, toute une palette de nuances.
De même en breton, on a un adjectif intraduisible pour définir la couleur de l’océan, « glaz », qui peut vouloir dire bleu ou vert, mais il existe un autre mot pour le vert de l’herbe, c’est donc juste la couleur de l’Atlantique, celle qui a attiré et attire encore tant de peintres.

Bilinguisme précoce.
Ensuite, il est prouvé par les nombreuses études réalisées en psycholinguistique que le bilinguisme précoce chez les enfants favorise l’apprentissage ultérieur d’autres langues et développe de manière plus générale les capacités d’abstraction.

Je reviens d’un voyage en Inde.
Pour peu qu’ils aient eu accès aux études, beaucoup d’Indiens parlent au moins trois langues : celle de leur état, par exemple le penjabi ou le tamoul, l’hindi parlé par 20 % de la population, l’anglais, évidemment.
Et j’ai constaté un engouement pour le français que la France n’honore pas, puisque les centres culturels français et les Alliances Françaises sont exsangues. Que ce soit à Chandigarh ou à Puducherry, où de nombreux jeunes indiens vont apprendre le français, les droits d’inscriptions ont dû être augmentés, limitant ainsi de manière drastique l’accès à la francophonie. C’est poignant ! J’ai été très sollicitée pour donner des cours de français, avis aux amateurs !
Donc, non seulement la France se ferme aux richesses dont elle a la chance de disposer sur son propre territoire, mais le français devient une langue ultra-minoritaire dans le monde, alors qu’il jouit encore, pour l’instant, d’un certain prestige et représente, dans l’exemple des Indiens, une ouverture au monde.
Triste image d’un pays qui se recroqueville sur lui-même, au risque de la nécrose.

Poésie

Pour terminer poétiquement, voici un texte d’une poète et amie écossaise, qui écrit, certe,s en anglais, mais aussi en shetlandais, de l’île dont elle est originaire. Il s’agit de Christine De Luca, le titre du recueil est Mondes parallèles (ce qui est un hommage au multilinguisme). La traduction en français est de Jean-Paul Blot et le recueil a obtenu le prix du livre insulaire d’Ouessant en 2007 (édition fédérop).

Sam but different / Semblables mais différents


Ayant, dès le départ, plus d’une façon de parler,
de comprendre les choses, nous apprenons à ajuster
ce que nous disons à ce qu’on attend de nous. Plaignez ceux
qui sont nés dans une seule langue, ceux qui n’ont jamais goûté
ne serait-ce qu’un plat d’autres tables.
Élevés dans deux langues c’est inconsciemment
partager un festin : deux manières de penser.
L’une enrichit l’autre, peut nous révéler un autre monde,
que tous les mondes cependant
sont tout simplement semblables mais différents.

© Christine de Luca, éditions fédérop

Mireille Le Liboux
Professeur de lettres retraitée
Membre de l’Association des Ecrivains Bretons.

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