L'orme
ivre d’une ombre.
Né dans cette
terre de fougères, il a grandi dans la clairière, à l'orée du village, aimé des
hommes et des bêtes, ses racines épanouies plongeaient loin dans la terre, ses
branches s'élevaient haut vers le soleil.
Les oiseaux
des bois nichaient dans son feuillage, les hommes s'abritaient au pied de cet
arbre, les jeunes filles y dansaient en ronde, les amoureux lui confiaient
leurs secrets et lui sculptaient des cœurs sur le tronc.
Les oiseaux
de passage qui se reposaient dans ses branchages, lui racontaient les pays
lointains, lui parlaient d'autres paysages. C'est ainsi que le grand orme se
mit à rêver de voyage, dans les hivers de givre, endormi sous ses branches de
cristal. Au dégel, il attendait le retour des hirondelles. Elles lui
racontaient les savanes, le rire des enfants noirs, la vie sous les arbres à
palabres.
Enraciné dans
sa terre, il voulait voir du pays, se sentir libre, voyager. Pourtant, il avait
tout pour être heureux sous ce climat tempéré. Il essayait de sortir ses
racines, mais impossible, il était trop solidement attaché.
Alors, l'orme
devint triste, ses feuilles se mirent à jaunir, puis à tomber en plein été. Il
n'offrait plus ses frondaisons fraîches aux oisillons dans leur nid, était
boudé des hirondelles, des vagabonds de passage et des amoureux en promenade.
Plus aucun ami ne s'arrêtait. Quand vint l'hiver, il était si triste que sa
sève se figea et tout son bois sécha. Au printemps, il ne restait plus qu'un
tronc sec. Il était mort.
La morale de
cette histoire, nous pouvons l'emprunter à Charles Baudelaire :
L'homme
ivre d'une ombre qui passe
Porte
toujours le châtiment
D'avoir
voulu changer de place.