vendredi 20 novembre 2015

Analyse du fanatisme par Cioran



En janvier, j'avais mis le texte de Voltaire sur le fanatisme, celui de Cioran est aussi d'une actualité criante.


Généalogie du fanatisme (extraits)
                                        dans Précis de décomposition, Cioran, 1949.

En elle-même toute idée est neutre, ou devrait l’être ; mais l’homme l’anime, y projette ses flammes et ses démences ; impure, transformée en croyance, elle s’insère dans le temps, prend figure d’événement : le passage de la logique à l’épilepsie est consommé… ainsi naissent les idéologies, les doctrines, et les farces sanglantes.
[…] : celui qui aime indûment un dieu, contraint les autres à l’aimer, en attendant de les exterminer s’ils s’y refusent. Point d’intolérance, d’intransigeance idéologique ou de prosélytisme qui ne révèlent le fond bestial de l’enthousiasme. Que l’homme perde sa faculté d’indifférence : il devient assassin virtuel ; qu’il transforme son idée en dieu : les conséquences sont incalculables. On ne tue qu’au nom d’un dieu ou de ses contrefaçons : les excès suscités par la déesse Raison, par l’idée de nation, de classe ou de race sont parents de ceux de l’Inquisition ou de la Réforme. …]
Lorsqu’on se refuse à admettre le caractère interchangeable des idées, le sang coule… Sous les résolutions fermes se dresse un poignard ; les yeux enflammés présagent le meurtre. […]
Qu’est-ce que la Chute sinon la poursuite d’une vérité et l’assurance de l’avoir trouvée, la passion pour un dogme, l’établissement dans un dogme ? Le fanatisme en résulte, - tare capitale qui donne à l’homme le goût de l’efficacité, de la prophétie, de la terreur, - lèpre lyrique par laquelle il contamine les âmes, les soumet, les broie ou les exalte… N’y échappent que les sceptiques et les esthètes (ou les fainéants et les esthètes), parce qu’ils ne proposent rien, parce que – vrais bienfaiteurs de l’humanité – ils en détruisent les partis pris et en analysent le délire. […]
Le fanatique, lui, est incorruptible : si pour une idée il tue, il peut tout aussi bien se faire tuer pour elle ; dans les deux cas, tyran ou martyr, c’est un monstre.


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