Sarinagara. Philippe Forest
Gallimard,
2004
Me laissant souvent
guider par le hasard dans ma quête de lectures à la médiathèque, j’ai été
attirée par le livre de Philippe Forest Sarinagara.
D’abord le titre et l’explication
qu’en donne la quatrième de couverture : « Sarinagara signifie cependant. Ce mot est le dernier d’un des plus
célèbres poèmes de la littérature japonaise. » L’auteur en est Kobayashi Issa,
« le dernier des grands maîtres dans l’art du haïku ». Son histoire
est reconstituée par l’auteur ainsi que celle de Sôseki, dont j’ai aimé Choses dont je me souviens. J’en avais
cité un poème dans L’Empreinte des cygnes :
Les
hommes meurent
Les
hommes vivent
Passent
les oies sauvages.
La troisième histoire de
ce livre est celle d’un photographe Yamahata Yosuke « qui fut le premier à
photographier les victimes et ruines de Nagasaki ».
Ces « trois vies
rêvées » s’entremêlent avec la vie du narrateur, si proche de l’auteur que
la frontière entre réalité et fiction a totalement disparu. L’étiquette « roman »
inscrite sur la couverture, ne semble être là que pour nous entraîner dans un
espace à la fois flottant et labyrinthique, entre « rien n’a du sens »
et « tout a un sens », entre « tout n’est que hasard » et « il
n’y a pas de hasard »… en fait, dans l’espace de la poésie, dont ce livre
relève avant tout.
N’ayant pas d’informations
préalables sur l’auteur, je me suis laissée embarquer dans ce patchwork de vies
fragmentées dont le fil de trame apparaît peu à peu : le Japon, on l’avait
compris, mais pourquoi ?... et très vite le motif commun : vivre
après la mort d’un enfant, sinagara
(cependant)… L’émotion du lecteur va croissant tout au long du livre, au fur et
à mesure que se révèlent les liens secrets entre tous ces fragments d’humanité
blessée.
J’ai le sentiment d’avoir
fait une vraie rencontre en lisant ce livre, ce qui est assez rare dans le
marché culturel contemporain, si vaste qu’il est difficile de distinguer les
livres qui vont vraiment vous enrichir durablement. Ce ne sont pas toujours
ceux qui sont mis le plus en avant.
De plus, ce n’est pas un
critère mais cela fait plaisir : Philippe Forest a quitté Paris pour fuir
le traumatisme et s’est installé « dans une grande ville de l’ouest »,
dit-il dans le roman. Vu qu’il est professeur de littérature à l’université de
Nantes, on se doute de quelle ville il s’agit.
Bienvenue en Bretagne
Philippe Forest !
Et comme je préfère citer
un auteur que le commenter, voici quelques phrases que j’ai notées au cours de
ma nuit de lecture ou que j’attrape au passage en le feuilletant à nouveau :
Sur Issa :
« Où en est la
poésie au temps d’Issa ? Au même point d’immuable médiocrité où on la
trouvera toujours. Elle est l’objet d’affairement, de négoce, de calcul dans la
minuscule et perpétuelle foire aux
vanités où se disputent toutes sortes de têtes faibles et de cœurs vides. »
« Issa est le poète
de la vie, des enchantements d’enfants et des éveils émerveillés dans la nature.
Il manque tout à fait de sérieux […] La religion le fait rire. Il n’a aucun
respect pour le commerce crédule qu’il voit prospérer autour de lui. » (Pp
62 et 63).
Sur les voyages du
narrateur au Japon :
« Le tourisme est l’art
de jouir du monde en passant. Comme la vie. Il n’y a pas de raison d’éprouver
pour lui du mépris. Les temples de bois rouge dont la peinture flambe, vieux de
plusieurs siècles et pourtant périodiquement reconstruits comme le veut l’usage.
Le feu des fleurs ouvertes parmi les herbes, tout près d’un bassin avec les
flèches rouges ou noires des carpes grasses glissant dans l’eau immobile. »
Suit une page de descriptions de pure poésie suivie de la phrase « En
somme, toute la collection ordinaire des cartes postales. » (Pp 172-173). Ceci
me réjouit particulièrement !
Dans le chapitre sur
Sôseki :
« Rien de plus risible
qu’un écrivain qui ait l’air d’un écrivain et qui pousse le ridicule jusqu’à en
être fier. L’habituelle profession de foi névrotique du très mauvais romancier,
du très faible poète confessant qu’il lui fallait absolument écrire, que cela
était indispensable à son équilibre, à sa survie… » (P.108).
À propos du photographe
Yamahata qui découvre ses images en les développant dans son laboratoire :
« À quoi tient ceci ?
Que la représentation de la vie soit toujours plus poignante que la vie
elle-même, que l’on pleure sur un portrait et jamais sur un visage. Qu’il en
soit nécessairement ainsi alors que l’intenable pathétique des images vient de
la vie et seulement d’elle. Pourquoi faut-il en passer par les images afin que nous
soit rendue la vérité des choses aimées parmi lesquelles nous passons ?
Pourtant il en est ainsi. » (P. 237). Un lecteur précédent avait déjà
coché ces phrases, j’y souscris également.
« Ne cherchez pas
ailleurs, lisez ». (P. 74).
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