dimanche 1 février 2015

Note de lecture : Sarinagara de Philippe Forest



Sarinagara. Philippe Forest
Gallimard, 2004

Me laissant souvent guider par le hasard dans ma quête de lectures à la médiathèque, j’ai été attirée par le livre de Philippe Forest Sarinagara.
D’abord le titre et l’explication qu’en donne la quatrième de couverture : « Sarinagara signifie cependant. Ce mot est le dernier d’un des plus célèbres poèmes de la littérature japonaise. » L’auteur en est Kobayashi Issa, « le dernier des grands maîtres dans l’art du haïku ». Son histoire est reconstituée par l’auteur ainsi que celle de Sôseki, dont j’ai aimé Choses dont je me souviens. J’en avais cité un poème dans L’Empreinte des cygnes :

Les hommes meurent
Les hommes vivent
Passent les oies sauvages.

La troisième histoire de ce livre est celle d’un photographe Yamahata Yosuke « qui fut le premier à photographier les victimes et ruines de Nagasaki ».
Ces « trois vies rêvées » s’entremêlent avec la vie du narrateur, si proche de l’auteur que la frontière entre réalité et fiction a totalement disparu. L’étiquette « roman » inscrite sur la couverture, ne semble être là que pour nous entraîner dans un espace à la fois flottant et labyrinthique, entre « rien n’a du sens » et « tout a un sens », entre « tout n’est que hasard » et « il n’y a pas de hasard »… en fait, dans l’espace de la poésie, dont ce livre relève avant tout.
N’ayant pas d’informations préalables sur l’auteur, je me suis laissée embarquer dans ce patchwork de vies fragmentées dont le fil de trame apparaît peu à peu : le Japon, on l’avait compris, mais pourquoi ?... et très vite le motif commun : vivre après la mort d’un enfant, sinagara (cependant)… L’émotion du lecteur va croissant tout au long du livre, au fur et à mesure que se révèlent les liens secrets entre tous ces fragments d’humanité blessée.
J’ai le sentiment d’avoir fait une vraie rencontre en lisant ce livre, ce qui est assez rare dans le marché culturel contemporain, si vaste qu’il est difficile de distinguer les livres qui vont vraiment vous enrichir durablement. Ce ne sont pas toujours ceux qui sont mis le plus en avant.
De plus, ce n’est pas un critère mais cela fait plaisir : Philippe Forest a quitté Paris pour fuir le traumatisme et s’est installé « dans une grande ville de l’ouest », dit-il dans le roman. Vu qu’il est professeur de littérature à l’université de Nantes, on se doute de quelle ville il s’agit.
Bienvenue en Bretagne Philippe Forest !

Et comme je préfère citer un auteur que le commenter, voici quelques phrases que j’ai notées au cours de ma nuit de lecture ou que j’attrape au passage en le feuilletant à nouveau :
Sur Issa :
« Où en est la poésie au temps d’Issa ? Au même point d’immuable médiocrité où on la trouvera toujours. Elle est l’objet d’affairement, de négoce, de calcul dans la minuscule  et perpétuelle foire aux vanités où se disputent toutes sortes de têtes faibles et de cœurs vides. »
« Issa est le poète de la vie, des enchantements d’enfants et des éveils émerveillés dans la nature. Il manque tout à fait de sérieux […] La religion le fait rire. Il n’a aucun respect pour le commerce crédule qu’il voit prospérer autour de lui. » (Pp 62 et 63).

Sur les voyages du narrateur au Japon :
« Le tourisme est l’art de jouir du monde en passant. Comme la vie. Il n’y a pas de raison d’éprouver pour lui du mépris. Les temples de bois rouge dont la peinture flambe, vieux de plusieurs siècles et pourtant périodiquement reconstruits comme le veut l’usage. Le feu des fleurs ouvertes parmi les herbes, tout près d’un bassin avec les flèches rouges ou noires des carpes grasses glissant dans l’eau immobile. » Suit une page de descriptions de pure poésie suivie de la phrase « En somme, toute la collection ordinaire des cartes postales. » (Pp 172-173). Ceci me réjouit particulièrement !

Dans le chapitre sur Sôseki :
«  Rien de plus risible qu’un écrivain qui ait l’air d’un écrivain et qui pousse le ridicule jusqu’à en être fier. L’habituelle profession de foi névrotique du très mauvais romancier, du très faible poète confessant qu’il lui fallait absolument écrire, que cela était indispensable à son équilibre, à sa survie… » (P.108).

À propos du photographe Yamahata qui découvre ses images en les développant dans son laboratoire :
« À quoi tient ceci ? Que la représentation de la vie soit toujours plus poignante que la vie elle-même, que l’on pleure sur un portrait et jamais sur un visage. Qu’il en soit nécessairement ainsi alors que l’intenable pathétique des images vient de la vie et seulement d’elle. Pourquoi faut-il en passer par les images afin que nous soit rendue la vérité des choses aimées parmi lesquelles nous passons ? Pourtant il en est ainsi. » (P. 237). Un lecteur précédent avait déjà coché ces phrases, j’y souscris également.

« Ne cherchez pas ailleurs, lisez ». (P. 74).


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire