Le journal Le Monde parle d’un « voyage envoûtant ». Je partage cette impression, je dirais aussi : plongée vertigineuse dans les profondeurs.
La grotte Chauvet a été peinte il y a environ 35 000 ans, dans la période de l’Aurignacien. Ces peintures pariétales sont donc deux fois plus anciennes que celles de Lascaux ou d’Isturitz qui datent de l’Aurignacien (- 10 000).
Un des artistes principaux a pu être identifié grâce à l’empreinte de sa main, dont le petit doigt est tordu, ces œuvres ne sont pas anonymes, c’est comme s’il était là, proche de nous. C’est déjà très émouvant dans le film, on croit donc volontiers les impressions de l’équipe dans la grotte (archéologues et cinéastes) de sa présence quasi-physique, jusqu’au malaise.
La grande émotion aussi est de constater qu’il n’y a pas de saut qualitatif dans l’expressivité entre ces différentes périodes, et on peut même dire, avec notre époque. comme si l’esprit et l’affectivité humains n’avaient pas évolué de manière si importante qu’on ne puisse se comprendre, ou tout au moins, partager des émotions à 35 000 ans de distance. On pourrait même dire que d’une certaine manière, nous avons régressé aujourd’hui, car nous avons trop coupé le contact avec les forces de l’univers.
Une anecdote rapportée par un des archéologues m’a semblé une clé fondamentale. Il raconte qu’il était si ému après cinq jours dans la grotte qu’il a cessé d’y aller, en ajoutant que pour comprendre, il faut visiter le monde, rencontrer d’autres cultures. Et il cite l’exemple d’un de ses collègues visitant l’Australie en compagnie d’un guide aborigène.
Les Aborigènes, explique-t-il, ont pratiqué l’art pariétal ou les peintures rupestres jusqu’à ce qu’ils soient découverts, c’est-à-dire jusque vers 1970. Ils avaient coutume de repeindre les anciennes peintures abîmées, sans discontinuité temporelle. Lors de cette visite dans le bush, le guide, voyant une peinture très dégradée, se met à la repeindre pour la restaurer. L’archéologue alors lui demande :
– Pourquoi peignez-vous ? Le guide, interloqué, répond :
– Je ne peins pas ! C’est l’esprit de la fourmi à miel qui peint.
– Je ne peins pas ! C’est l’esprit de la fourmi à miel qui peint.
Je ne peux m’empêcher de relier ceci à la recherche de Paul Gauguin (et de bien d’autres artistes), de plus en plus loin du monde civilisé, jusqu’à en souffrir, en mourir, en quête de cette relation chamanique au monde, spontanée, naturelle, la recherche « des rêves perdus », comme le dit si bien le titre de Werner Herzog.
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