lundi 21 décembre 2015

Note de lecture : "Un marin breton en Indochine" par Claude Trividic



Un marin breton en Indochine. Claude Trividic. Emgleo Breiz.

Ce livre exposé à la médiathèque de Larmor a attiré mon attention car c’est le témoignage authentique d’un matelot sur la vie méconnue des marins pendant cette guerre menée par la France et oubliée. Et aussi parce que mon père était dans la Royale et même si je l’ai à peine connu, je sais qu’il était au large de l’Indochine dans les années cinquante. C’est même ainsi que s’est effectuée la rencontre improbable entre lui et ma mère qui était correspondante de guerre : à cette époque on remontait le moral des troupes en trouvant des jeunes femmes volontaires pour écrire aux matafs. J’ai d’ailleurs encore un service à thé datant de cette époque, de ceux où on voit une femme à poil par transparence au fond de la tasse. Ma mère ne l’a évidemment jamais utilisé ! 
J’ignore sur quel bateau était mon père en Indochine, mais les noms de Jean-Bart, Richelieu et Dupetit-Thouars résonnent dans ma mémoire. Plus tard, j’ai visité la Jeanne D’Arc quand j’avais une dizaine d’années.
Pour en revenir au livre, l’auteur, Claude Trividic, né dans le Cap Sizun, avait signé un engagement de deux ans, de 1951 à 1953 pour une campagne d’Indochine. Ayant jeté son journal de l’époque, c’est de mémoire qu’il recompose aujourd’hui ses souvenirs. C’était sur un coup de tête après une déception amoureuse et très vite il semble regretter cette décision. Car ce qu’il nous décrit ressemble plutôt au bagne qu’à un emploi au service de la France en guerre ! On a du mal à imaginer aujourd’hui comment étaient traités ces hommes ayant choisi la carrière militaire !
Un tiers du livre est consacré au transport des troupes dans les cales d’un cargo mixte hors d’âge durant de longs mois. Les bannettes sont constituées d’une seule toile soutenue par une barre métallique, si bien que dès que l’un bouge, l’autre se réveille. Un chargement de voitures, des Peugeot 203, sera utilisé pour tenter de trouver un peu de repos sur les banquettes arrières. 
La nourriture est infecte au point d’avoir tenté une « grève de gamelles ». Les marins souffriront pendant les deux années du scorbut par manque de légumes et fruits. L’eau douce et rare si bien que, sous les tropiques, des maladies de peau douloureuses vont s’installer sans jamais être soignées : les dartres par exemple rendent le port du slip impossible car trop douloureux. La chaleur moite dans les cales est insupportable. Ces hommes peuvent-ils au moins s’approvisionner aux escales ? Leur solde mensuel est si infime, estimé par l’auteur à l’équivalent de 25 € par mois, ne permet guère de faire des dépenses.
Enfin arrivé à Haïphong, il est affecté sur un navire-atelier, le Jules-Verne, destiné à effectuer les réparations des navires de la flotte. Les marins ont de bonnes relations avec la population autochtone et sont tout sauf des « va-t-en guerre ». Certaines personnes âgées rappellent à l’auteur sa mammig adorée. Ce qui le rend bien triste quand on donne l’ordre aux marins de détruire des embarcations de nomades vivant sur l’eau. Les passagers sont récupérés mais terrorisés se glissent discrètement à l’eau pendant la nuit avec femmes et enfants. Ou encore lorsqu’il voit un village brûlé par le Viet-minh au motif que les habitants ont lié des relations avec l’occupant. On découvre aussi la cruauté de la police vietnamienne envers les prisonniers rebelles viet-minh : les marins empêcheront l’un des leurs de torturer un prisonnier transféré sur le navire et s’arrangeront pour qu’il soit traité humainement.
C’est tout un pan de notre histoire vécue au quotidien par des marins embarqués que nous révèlent les mémoires de Claude Trividic dans un style sobre et émouvant par l’émotion suggérée entre les lignes et aussi très souvent teinté d'humour.


 Un très bon article à lire sur Le Télégramme :


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