mercredi 18 décembre 2013

Voyage par vent d'hiver dans "Le monde ouvert" de Kenneth White

Un bon coup de vent d'ouest aujourd'hui balaie la côte en tourbillons de pluie. Les dernières feuilles jaunies s'arrachent des branches balancées en sarabandes. L'espace se nettoie, le monde de l'esprit s'ouvre à la danse des éléments. Derrière la fenêtre, le monde se déploie même si un nouveau bâtiment en construction me cache l'île de Groix. 
C'est la bonne saison pour revenir aux poèmes. 
J'ai ressorti de l'étagère consacrée à Kenneth White son anthologie personnelle, intitulée Un monde ouvert. Je m'y promène erratiquement, cueillant ici ou là quelques mots ou pensées sauvages pour en faire un bouquet en un poème recomposé.
 Que Kenneth me pardonne ce (gra)pillage !

***

J'ai mis les livres de côté
et je vois les dernières pommes
tomber des arbres gelés
...
et mon cœur nu 
et ma cervelle ouverte au vent

*
la force personnelle peut faire des prodiges
sans elle le talent n'est rien
augmente ta vie
trempe-toi le caractère
et tire profit à plein de cet hiver.

*
Forme brute, fissurée, ce quartz
né du chaos, lavé, rejeté par le flux et 
dans l'espace clément contemplé.

*
 Propriétaire je suis moi aussi
j'ai douze arpents de silence blanc
tout au fond de mon cerveau. 

*
blancheur brumeuse dans l'air
l'âme de l'hiver éclate
et une étoile bleue hurle haut dans le ciel
...
la réalité s'ouvre
incandescente.

*

Matin de neige à Montréal

Certains poèmes n'ont pas de titre
ce titre n'a pas de poème

tout est là, dehors.

*

la beauté est là  
                        elle émerge
                incompréhensible
                                     inexplicable
     elle surgit unique et nue -
à nous d'apprendre
                       à l'accueillir
                  en nous

...

et celui-là qui connaît parfaitement
                 un seul rocher
          dans son être dense 
                            et son rapport 
                avec mer et ciel
     a sans doute parole plus vraie
                           pour les frères humains
que cet autre qui ne cesse
                 de vivre et de pourrir
          dans l'entassement des cités
                                    qui ne disent rien
                                de la vie

*

la violence de la poésie
                 est calme et silencieuse
                                   et pénètre loin -
         jusqu'à l'os
                       jusqu'au blanc 

*

Éloge du corbeau

tous les oiseaux parlent
la langue de l'aurore
dans des dialectes divers.

*

Je suis venu sous les arbres
leur faire l'amour avec mes mains muettes

car la beauté se laisse au moins caresser par les sens
j'ai suivi des doigts le noir sur le blanc
comme un poème inachevé -

sans cesse interrompu, sans cesse recommencé.

***

Kenneth White. Un monde ouvert. Anthologie personnelle.
Poésie / Gallimard, 2007.
Tous les textes sont donnés en traduction de l'anglais.










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